BOTICINAL CASSE LES CODES TRADITIONNELS DE LA PHARMACIE ET MISE SUR L'OMNICANAL. INTERVIEW DE SON PRESIDENT.
Vous êtes aujourd’hui président de l’enseigne de pharmacies Boticinal. Quel parcours professionnel vous a conduit à ce poste ?
François Rochet : j’ai d’abord été développeur d’entreprises en France et à l’international, dans des secteurs très variés comme l’industrie textile, la mode, la puériculture et le sport. Aussi bien en BtoB que dans la distribution de détail où je me suis forgé une solide expérience en travaillant pour des enseignes comme Zannier, Naf Naf ou Chevignon. Passionné de sport, de diététique et de naturopathie, je suis venu naturellement à la pharmacie en 2006, grâce au rachat, par mon épouse pharmacienne, de la Pharmacie du RER installée dans le quartier de la Défense.
Il s’agit donc, au départ, d’une aventure familiale ?
F.R. : tout à fait ! nous avons décidé à ce moment-là d’associer nos compétences respectives. Mon épouse, Florence Rochet, est devenue titulaire dès la fin de ses études, à 24 ans. Elle est aujourd’hui DG métier du groupe Boticinal, tout en restant titulaire de la pharmacie du RER de la Défense.
Comment est née l’enseigne Boticinal ?
F.R. : après diverses expériences au sein des réseaux de pharmacies G7 et G9, nous avons décidé en 2016 de créer Boticinal, avec l’aide d’un partenaire financier, G Square. Fondé par un médecin, Laurent Ganem, ce fonds d’envergure européenne se concentre sur le secteur de la santé et a vocation à accompagner des projets comme le nôtre. Pourquoi Boticinal ? Parce que nous pensons qu’il manque aux réseaux de pharmacies actuels une vraie stratégie d’enseigne et de marque omnicanale. Pour bâtir une telle stratégie, il faut beaucoup d’ambition et quelques moyens financiers.
On compte actuellement une quinzaine de réseaux revendiquant un positionnement d’enseigne. Qu’est-ce qui définit véritablement, selon vous, une enseigne de pharmacies en France ?
F.R. : il ne suffit pas de s’auto-proclamer enseigne pour l’être réellement ! Rappelons tout d’abord que toutes les pharmacies ont une enseigne commune, la croix verte. Mais si l’on adopte le point de vue d’un « retailer », force est de constater que la plupart des réseaux ont une stratégie d’achats, arborent une signalétique et un signe de ralliement, sans aller jusqu’à proposer une marque globale et une expérience client immersive et différenciante. Or ce sont justement ces deux derniers éléments qui caractérisent une véritable enseigne.
Quelle place occupe Boticinal, en 2020, au sein du réseau officinal ?
F.R. : nous avons concrétisé nos ambitions après 3 ans de tests, de développements et de projets d’envergure. Nous avons démarré par l’optimisation de pharmacies déjà leaders sur leur zone de chalandise (à Boulogne, Rennes et Bayonne). Et par la création de nouvelles officines suite à des regroupements et transferts (à Lyon, Marseille ou encore Caen). Fin 2020, nous comptons 13 pharmacies à l’enseigne, toutes au concept Boticinal, avec une politique d’achats, de vente et de communication commune. Tous nos adhérents sont leaders sur leur zone ou en situation de le devenir à court-moyen terme. Nous avons donc démontré que nos fondations sont solides et que le concept est pérenne. Ce qui nous permet de démarrer la 2e phase de notre stratégie, à savoir le déploiement à très grande échelle. Les pharmaciens qui nous rejoignent ont soit une pharmacie déjà importante, dont ils souhaitent poursuivre le développement, soit une plus petite qu’ils veulent agrandir. Notre savoir-faire réside dans notre capacité à les accompagner tout au long de leurs projets, avant, pendant et après le passage à l’enseigne. Nos solutions : l’accompagnement au transfert ou à l’agrandissement, l’aide au financement, la conception du projet et l’aide à la réalisation, le plan de masse et le merchandising, les recommandations de prix sur la zone de chalandise, le suivi une fois le passage au concept effectué…
Quels sont les facteurs clés de succès de l’enseigne ?
F.R. : tout d’abord la volonté du titulaire de réussir et sa capacité à emporter l’adhésion de son équipe. C’est une condition sine qua non. Ensuite, il faut avoir la volonté de devenir multi-spécialiste, être installé dans une zone d’attractivité commerciale et disposer d’une surface d’au minimum 200-300 m², afin de proposer une offre suffisamment large pour être compétitif sur sa zone de chalandise.
Comment définissez-vous le positionnement de Boticinal ?
F.R. : nous définissons Boticinal comme la marque enseigne de pharmacies référentes au niveau de leur zone d’activité. Elle s’adresse principalement à une clientèle citadine, investie et actrice de ses choix, qui aime dans la marque son expertise dans les domaines de la santé, de la beauté et du bien-être, alliée à sa bienveillance. Le tout avec une qualité premium et une sélection pointue de produits commercialisés à des prix accessibles. Nous avons volontairement cassé les codes de l’officine pour faire vivre à nos clients une expérience différente : couleur rouge du mobilier, mise en lumière très travaillée des espaces, sol en marbre. Et un expert dans chaque rayon pour conseiller le client. Quand vous êtes dans une pharmacie Boticinal, vous êtes chez Boticinal. C’est la force de notre concept. Afin de renforcer cette différenciation, nous avons travaillé avec une agence réputée pour concevoir une communication résolument optimiste et décalée. Enfin notre stratégie de marque est globale : du site e-commerce à l’application mobile destinée à nos services, en passant par les produits sous marque propre (200 lancements en 2020 et 150 en 2021), tout est signé Boticinal.
Il s’agit d’un concept en rupture avec le codes traditionnels de la pharmacie ?
F.R. : oui, c’est une approche résolument moderne qui est comprise par de plus en plus de pharmaciens entrepreneurs, conscients que pour exister demain face à d’autres enseignes, d’autres circuits de distribution ou des acteurs comme Amazon, il leur faudra plus qu’un réseau d’achats. Il faut anticiper cette menace dès maintenant, non seulement pour le hors monopole, mais aussi pour la partie pharmaceutique. Car la distribution du médicament pourrait à l’avenir évoluer. Reconnaissons que d’autres acteurs sont aujourd’hui meilleurs sur le plan logistique et pour la livraison à domicile. Il est donc primordial d’imaginer l’avenir et d’agir dès à présent pour être prêt.
« C’est le rôle d’une enseigne comme la nôtre d’anticiper les scénarios, proposer une stratégie et l’exécuter avec efficacité. »
Proposez-vous plusieurs niveaux d’adhésion à ce concept global ?
F.R. : nous proposons deux niveaux. L’option « Iridium », qui correspond à l’affiliation au concept global, et l’option « Gold », qui peut constituer une première étape avant l’adhésion au premier niveau. Elle rassemble les marqueurs fondamentaux de l’enseigne : têtes de gondole, outils PLV à l’intérieur de l’officine, enseigne à l’extérieur, adoption du site Internet et de l’appli de services. Cinq éléments clés qui permettent d’exprimer la marque et de bénéficier de son apport.
Comment accompagnez-vous les pharmaciens qui souhaitent adhérer ?
F.R. : nous mettons à leur service notre savoir-faire, nos équipes en finance, réalisation de projet, merchandising, communication et numérique. Et évidemment notre force de frappe pour optimiser les achats, grâce à notre capacité de négociation et nos partenariats avec plus de 260 laboratoires. Nous avons également mis en place des programmes de formation en management. Les adhérents bénéficient donc de nos points forts et en retour, nous bénéficions de leur expérience métier et de leurs actions au plus près des besoins de leurs clients. Notre rôle commun, en tant que chefs d’entreprise, est d’optimiser nos ressources et partager nos meilleures pratiques.
Votre nouvelle promesse client est « French Pharmacie with love ». Quels messages adresse-t-elle ?
F.R. : nous souhaitons partager notre passion pour le métier de pharmacien et créer une relation de complicité avec nos clients. Nous nous revendiquons comme une enseigne française concentrée sur la satisfaction de ses clients-patients. Et aussi de nos laboratoires partenaires dont nous sommes très fiers : L’Oréal, Pierre Fabre et tous les autres… Nos intérêts sont convergents : nous avançons main dans la main et faisons le maximum pour valoriser leurs marques dans nos espaces de vente. Quant au choix de la langue anglaise, c’est parce que nous nous adressons aussi aux touristes étrangers et souhaitons les interpeler sur l’expérience de la pharmacie à la française.
Quels segments de marché développez-vous plus particulièrement ?
F.R. : nos pharmacies réalisent plus de la moitié de leur activité sur la parapharmacie et les compléments alimentaires. Nous avons clairement une expertise forte sur les marchés du bien-être et de la beauté, avec une offre large qui rassemble à la fois des grandes marques et des marques de niche. Nous développons également les marchés de la naturalité, en référençant les meilleures marques et en apportant un conseil expert grâce à des pharmaciens spécialisés en naturopathie, diététique ou encore en aromathérapie.
Quelle place un concept comme le vôtre accorde-t-il aux services ?
F.R. : Nous donnons la priorité aux services qui peuvent faciliter la prise en charge du patient. Nous avons ainsi doté le réseau d’une appli qui propose la e-réservation et le scan d’ordonnance, la prise de rendez-vous en ligne pour la vaccination et les tests antigéniques, la visio consultation avec un expert, le click&collect et la livraison rapide. Un service de téléconsultation va être déployé à partir de janvier 2021. Nous souhaitons aussi élargir nos services aux bien-portants et investir le champ de la prévention et du bien-être. A titre d’exemple, nous organisons des ateliers de démonstration en aromathérapie (à l’officine et en live vidéo) et proposons des séances de coaching en visio avec des experts. Enfin, dans le domaine de la beauté, nous proposons des animations en partenariat avec des marques et des influenceurs.
Comment vous adaptez-vous à la crise sanitaire et économique ? En quoi cette crise modifie-t-elle votre vision de la pharmacie et la stratégie de développement de Boticinal ?
F.R. : face à cette crise inédite, nous avons trois maîtres-mots : résilience, optimisme et accélération. Nous avons renforcé notre logistique, notre DSI et le digital. Notre vision n’a pas changé, elle sort même renforcée de la crise. Avec le développement du e-commerce, l’érosion du trafic en magasin et une consommation plus maîtrisée, le développement de grandes pharmacies va se poursuivre, car elles sont à même de proposer une vraie expérience client, un grand choix de produits à prix attractifs, des services et un parcours omnicanal. Cette crise est aussi l’occasion de réfléchir à notre engagement RSE. Une question que nous commençons à travailler, à travers notre adhésion à des programmes de recyclage (« Trions en beauté » avec L’Oréal par exemple) et notre MDD, qui contribue chaque année au 1 % pour la planète.
Vous avez récemment annoncé la volonté de développer l’activité de e-commerce.
F.R. : nous avons développé une expertise dans le domaine du e-commerce avec Powersanté, devenu en quelques années l’un des sites leaders en France pour les produits hors monopole. Une position que la crise a renforcée : les ventes réalisées sur ce site ont bondi de 50 % pendant le premier confinement. Il propose le paiement en ligne et la livraison à domicile ainsi que le clic&collect en pharmacie. Nous prévoyons de lancer également un site disposant de l’agrément ARS pour la vente de médicaments. Grâce à notre développement digital, nous proposerons demain une sorte de guichet unique vers un écosystème de services en ligne. Nous mutualisons ainsi notre expérience et les investissements au service du réseau.
Pour finir, quelles sont les grandes priorités de Boticinal à horizon 2-3 ans ?
F.R. : nous rencontrons actuellement beaucoup de pharmaciens qui souhaitent nous rejoindre dans cette aventure. Développer le réseau est notre première priorité. La seconde est la transformation numérique des officines, au sens large du terme.
Où souhaiteriez-vous être dans 5 ans ?
F.R. : à cet horizon, nous visons, dans les principales zones de chalandise, une pharmacie Boticinal à moins de 30 minutes du lieu d’habitation. Au global, 170 pharmacies représentant un volume d’activité de l’ordre de 1,1 à 1,2 Md€ et 15-20 % de parts de marché sur le web. Grâce à notre format de grandes pharmacies, l’expérience client sera enrichie et omnicanale. L’enjeu de demain pour les pharmaciens sera de trouver le bon équilibre entre le offline et le online, et nous pensons que Boticinal réunit tous les atouts pour relever ce défi.
Fiche d’identité de l'enseigne BOTICINAL :
Dénomination commerciale : Boticinal (enseigne détenue par SAS Boticinal)
Nombre d’officines adhérentes : 13 en novembre 2020 ; objectif de 50 à 70 à horizon 2021-2022
CA consolidé des officines adhérentes : 180 M€
CA moyen des officines Boticinal : 10 M€
Surface moyenne des officines : 500 m² (à partir de 200-300 m² suivant implantation et projet de développement)
Zone de chalandise dominante : > 100 000 habitants
Interview réalisée en novembre 2020 pour le compte des Echos Publishing dans le cadre de la publication trimestrielle L'Essentiel de la Santé.