Diversité des produits et multiplication des références vont à l’encontre même du principe de productivité, car elles se traduisent généralement par une diminution de la
taille des lots. Or, pour chaque nouveau lot, il faut souvent changer d’outillage et procéder à des réglages sur les machines. Dans l’agro-alimentaire, il est parfois même indispensable de nettoyer les machines avant de passer au lot suivant. La perte de temps induite par chacune de ces opérations est d’autant plus importante que les lots deviennent petits. De plus, les premiers exemplaires d’un lot ne satisfont pas toujours les critères globaux de qualités définis par l’industriel : le rebut est une perte sèche pour l’entreprise. En réponse, les fabricants de machines développent des unités plus adaptables, qui occasionnent des ruptures de chaîne moins importantes :
• Colgate-Palmolive exploite ainsi une machine robotisée de Cermex, qui s’auto-adapte au format du contenant. L’intervention humaine est ainsi limitée à une quinzaine de
minutes à chaque changement de lot, contre 45 minutes à deux personnes auparavant (il y a trois changements de format par jour en moyenne) ;
• Mecaplastic a développé une nouvelle technique d’adaptation rapide sur ces nouvelles lignes de conditionnement sous emballage thermo-formé. Grâce à de nouveaux
systèmes d’attache, il n’y a plus besoin d’outils pour adapter le thermoformage ou le type de soudure. Toutefois, ces progrès technologiques ne sont pas suffisants pour assurer un ratio de productivité satisfaisant. Il faut y ajouter :
• l’homogénéisation de l’outil industriel qui passe par l’harmonisation du parc informatique, l’harmonisation des procédures de commande (ce qui a fait la force d’un
avionneur comme Airbus, car un pilote peut passer rapidement d’un modèle à l’autre) ;
• la limitation du nombre de composants (ou de matières premières) en favorisant la polyfonctionnalité des composants dès la conception du produit (plates-formes communes à plusieurs modèles dans l’automobile par exemple) ;
• la simplification des process de production.
La différenciation retardée naît d’un constat : c’est la commande du client qui crée le besoin de différenciation. Avant le point de pénétration de la commande, il est donc possible d’avoir une chaîne de production commune à tous les produits, au ratio de productivitéélevé. La différenciation ne sera effectuée qu’après la commande du
client. La différenciation retardée correspond à une diffusion dans le temps et dans l’espace des opérations industrielles constitutives de la valeur ajoutée du produit. L’usine n’est plus le seul lieu de création de la valeur ajoutée. Désormais, le produit reçoit l’essentiel de sa valeur ajoutée (celle liée à la personnalisation/différenciation) sur des sites dont la fonction principale n’est pas la fonction de production (entrepôts, sites commerciaux, sites d’exploitation du produit chez le client).
Pour autant, il ne s’agit pas d’un simple transfert des opérations à faible productivité, mais bien à une répartition qui maximise, au niveau de l’usine comme de l’entrepôt, la
productivité tout au long de la chaîne. Ainsi, grâce à un outil industriel adapté et au recours à la main-d’oeuvre, les entrepôts où sont effectuées les opérations de différenciation ont aussi une productivité satisfaisante. Krones, numéro un mondial des machines d’embouteillage, a ainsi revu totalement son approche du marché et propose désormais à ses clients de séparer les opérations d’embouteillage des opérations d’étiquetage sur leurs lignes de production. Ainsi, une fois pleines, les bouteilles sont stockées (fonctionnement en flux poussés). La cadence de production sur les lignes d’embouteillage peut être ainsi doublée. De plus, le stockage est facilité car il n’existe qu’une seule référence (produit unique). Après réception de la commande, l’étiquetage et le suremballage (opérations de copacking) peuvent avoir lieu. Les services marketing peuvent ainsi personnaliser en tout dernier lieu les produits destinés au client. Ces opérations de différenciation peuvent être de plusieurs types, en fonction de l’intensité de la différenciation et de la complexité du process à mettre en oeuvre. L’automobile est un secteur pionnier en matière de différenciation retardée. Les constructeurs ont massivement externalisé les opérations de préparation du véhicule pour les confier à des prestataires logistiques, les voitures à la sortie de l’usine n’étant pas prêtes pour la vente. Ainsi, la STVA réalise un ensemble d’opérations pour le compte de Ford : déparafinage, lavages, contrôles mécanique et esthétique, pose de plaques et d’accessoires, gravage de vitres, etc. La personnalisation du véhicule en aval de la chaîne logistique permet d’adapter les séries aux demandes des clients : pose d’accessoires pour les particuliers, séries spéciales pour les collectivités, les flottes d’entreprises et les loueurs. Alors que certaines évolutions récentes, comme la mondialisation et le phénomène de concentration, pouvaient faire espérer aux industriels de nouveaux gains de productivité, il s’avère que le comportement des consommateurs, la persistance de spécificités nationales et les contraintes réglementaires les obligent au contraire à multiplier les références produits pour satisfaire les exigences du client et rester en conformité avec la loi. Pour autant, une solution existe, qui permet de concilier l’amélioration de la productivité et l’adéquation à une demande multiforme : c’est la différenciation retardée. En réorganisant les process de production de façon à faire intervenir le plus tard possible les opérations de différenciation, elle permet aux industriels de standardiser leur production en grande série avant de transférer à un prestataire les opérations nécessaires pour constituer des séries plus courtes destinées à répondre à une demande identifiée. La différenciation retardée est une tendance lourde qui devrait se développer car la demande pour des produits personnalisés devrait continuer à s’opposer à la mondialisation de la production.
Les industriels adaptent leur outil de production aux demandes du marché
13 juillet 2002
par
Les Echos Etudes
Les Echos Etudes
13 juillet 2002