Une loi de santé publique devait concrétiser la « stratégie nationale de santé » lancée par l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault en février 2013. Après un long parcours parlementaire, la « loi de modernisation de notre système de santé » a été définitivement adoptée le 17 décembre 2015.
Concernant les cliniques privées, le texte est porteur d’enjeux lourds qui tournent essentiellement autour de deux sujets :
- la définition du service public hospitalier et l’obtention de ce label « SPH » par les cliniques privées.
- la restructuration du secteur public autour des groupements hospitaliers de territoire (GHT).
Le service public hospitalier, quelle place pour les cliniques ?
L’article 26 de la loi précise les critères à remplir pour assurer le service public hospitalier :
- un accueil adapté, notamment lorsque la personne est en situation de handicap ou de précarité sociale ;
- la permanence de l’accueil et de la prise en charge, notamment dans le cadre de la permanence des soins organisée par l’ARS ;
- l’égal accès à des activités de prévention et des soins de qualité ;
- l’absence de facturation de dépassements des tarifs fixés par l’autorité administrative et des tarifs et honoraires prévus au 1er du I de l’article L 162-14-1 du code de sécurité sociale. Le patient bénéficie de ces garanties y compris lorsqu’il est transféré temporairement dans un autre établissement de santé.
Les établissements de santé participant au service public hospitalier doivent également garantir la participation des représentants des usagers au conseil d’administration et transmettre annuellement leur compte d’exploitation.
Les bénéfices « déraisonnables » qui pourraient être réalisés dans cette activité qui relève en droit européen d’un « service d’intérêt économique général » pourraient être repris. Les cliniques concernées devront donc adresser des comptes distinguant clairement les charges et produits relevant de leur activité de soins et ceux relevant d’activités annexes.
La loi précise que le service public hospitalier peut être assuré par les établissements de santé privé, à leur demande et après avis de leur conférence médicale d’établissement. La demande est examinée par le directeur de l’ARS qui habilite l’établissement en fonction des critères ci-avant.
Les établissements de santé privés qui disposent d’un service d’urgences sont de facto associés au service public hospitalier. Tout patient pris en charge en situation d’urgence ou dans le cadre de la permanence des soins dans ces établissements bénéficie de l’absence de facturation de dépassements de tarifs et d’honoraires, y compris pour une hospitalisation consécutive à un passage aux urgences.
La notion de service public va de pair avec l’interdiction des dépassements d’honoraires, pratiquée par une majorité des praticiens libéraux des cliniques privées (mais aussi par une proportion non négligeable de praticiens du public…). Les cliniques sont ainsi potentiellement coincées entre le marteau des ARS (subventions du FIR, renouvellement des autorisations) et l’enclume des praticiens libéraux, pas forcément enclins à renoncer aux dépassements d’honoraires au nom du label « service public ». Ce sujet a conduit la FHP à un appel à la grève de ses adhérents en janvier 2015.
Quelle seront les conséquences pour un établissement privé de sa non-participation au service public hospitalier ? Cela aura-t-il un impact sur les décisions des ARS ? La FHF a souhaité que soit remises à plat toutes les autorisations des urgences et la ministre s’est engagée à geler les autorisations accordées…
Le regroupement des hôpitaux publics en Groupements Hospitaliers de Territoires (GHT) : quelles conséquences pour les cliniques ?
La loi HPST avait institué les Communautés Hospitalières de Territoire (CHT) qui sont restés facultatives et ont concerné environ 120 établissements publics. La loi de santé institue les Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT). Ces GHT, obligatoires, sont en fait un outil de regroupement des hôpitaux bien qu’ils ne soient pas dotés de la personnalité morale.
Il est prévu de constituer environ 150 GHT d’ici le 1er juillet 2016. La convention constitutive du GHT définit :
- un projet médical partagé,
- des délégations éventuelles d’activités,
- des transferts éventuels d’activité de soins entre les hôpitaux,
- l’organisation des activités et la répartition des emplois médicaux
- la désignation de l’établissement support qui assurera la gestion commune du système d’information hospitalier, un département d’information médicale (DIM) commun, les fonctions achats, la coordination des écoles du groupement (IFSI…).
La certification sera conjointe pour les établissements de santé faisant partie d’un même groupement. La loi précise que le Directeur de l’ARS prend en compte l’ensemble des budgets des établissements participant au GHT pour apprécier l’état des prévisions de recettes et de dépenses ainsi que le plan global de financement pluri-annuel.
Les cliniques vont donc se retrouver face à des ensembles hospitaliers de très grande taille, en situation hégémonique sur un territoire de santé voire plusieurs, disposant d’une offre globale… Leur poids (politique, en termes d’emplois et dans l’offre de soins) en fera des interlocuteurs privilégiés des ARS. La loi prévoit que les cliniques peuvent être « partenaires » d’un GHT selon des conditions à définir par un décret en Conseil d’Etat.
Ces deux dispositions (SPH, GHT) sont clairement centrées sur la partie publique de l’offre sanitaire et contribuent potentiellement à marginaliser l’offre sanitaire privée du secteur commercial (voire non lucratif pour les GHT).
Pour Ségolène Benhamou, la Présidente du syndicat MCO des cliniques privées (FHP), ces GHT seront « des aspirateurs à autorisations de soins et financements… Ces gigantesques plateformes hospitalières publiques vont rafler tout au passage ». La FHP va même jusqu’à évoquer la constitution de « GHT privés ». La forte concentration en marche du secteur privé avec des rapprochements d’envergure (Ramsay/Générale de Santé, Vitalia/Vedici, Médi-Partenaires/Médipôle Sud Santé…) est néanmoins une forme de réponse à cette nouvelle donne concurrentielle.