L’organisation par espaces des agences implique que le personnel commercial soit réaffecté au conseil et à la vente de produits financiers à valeur ajoutée (épargne, assurance vie, crédits…). Pour rentabiliser des canaux à distance sous-utilisés et augmenter le PNB des agences à effectif constant, il peut être nécessaire de différencier le niveau de service des chargés de clientèle en agence, en fonction du potentiel des segments de clientèle comme le montre l'étude de marché. Depuis la fin 2001, le Crédit Lyonnais fournit un exemple de réorganisation de réseau en fonction de ces objectifs, avec un projet d’approche commerciale baptisé « dispositif ACP » (Accueil de la Clientèle Particulière). L’objectif est de partir à la conquête d’une clientèle haut de gamme, plus rentable pour la banque (règle des « 80 %/20 % »), en incitant la clientèle « grand public » à migrer vers les canaux à distance pour l’essentiel de leurs besoins courants. En définissant plus finement les segments de clientèle, le projet modifie l’approche commerciale adoptée par les agences du Crédit Lyonnais jusqu’alors. Après avoir segmenté sa clientèle, la banque doit dimensionner ses équipes commerciales, en réorganisant ses agences. De nouvelles fonctions vont être créées, afin de spécialiser la force de vente en fonction des segments définis. Mais compte tenu de l’obligation de proximité, de nombreux commerciaux devront continuer de gérer des portefeuilles « mixtes », la spécialisation n’intervenant qu’à partir du « segment 4 ». Quant aux actuels « gestionnaires privés », ils devront gérer l’ensemble de la relation client, des produits de gestion privée aux prêts immobiliers, en passant par les cartes bancaires. Le Crédit Lyonnais prévoit de générer, grâce à ACP, 117 MEUR de contribution nette additionnelle à son résultat brut d’exploitation d’ici 2006 (pour un RBE 2001 de banque de détail de 907 MEUR).
Cette segmentation rejoint les initiatives menées par plusieurs banques (Caisses d’Epargne, Crédit Mutuel) pour mieux servir les besoins des « mass affluent » (à partir de 75 000 euros de patrimoine essentiellement liquide), notamment en terme de conseil patrimonial. Il ressort de la dernière étude réalisée par Accenture en 2001 (« La population aisée et la banque »), que 52 % des clients « mass affluent » n’ont pas le sentiment de faire l’objet d’une attention particulière de la part de leur banque principale. Cette demande de conseil contribue à expliquer le fort degré de multibancarisation de la clientèle aisée (71 % selon Accenture). Pourtant, un tiers d’entre eux seraient prêts à concentrer l’ensemble de leurs avoirs au sein d’un établissement unique qui parviendrait à répondre à toutes leurs attentes. Pour les banques, répondre à ce défi implique de réallouer le temps commercial des chargés de clientèle vers les clients les plus rentables, au détriment des autres clients, sans pour autant négliger ces derniers.
Une attention trop importante portée à certains types de clients, au détriment des autres (plus modestes ou jugés sans potentiel) risque toutefois de mécontenter les exclus ou des catégories de clients momentanément non rentables (jeunes…), qui pourraient être tentés de changer de banque, notamment au profit de banques coopératives ou de La Poste (qui proposent des seuils d’entrée au conseil généralement plus faibles que dans les banques commerciales). L’arbitrage effectué par le Crédit Lyonnais est celui d’une banque commerciale, souhaitant mono-bancariser des clients aisés. La pertinence de cette approche paraît moindre dans le cas d’une banque « grand public »
comme le Crédit Mutuel du Nord ou La Poste. Pour ces dernières, le multicanal conjugué à un suivi clientèle modifié à la marge (c’est-à-dire relativement homogène quel que soit le segment de clientèle à l’exception de certaines opérations) suppose d’augmenter le nombre de produits vendus par client (notamment pour les clients « grand public »). Mais la réduction des contacts humains peut constituer un frein à l’augmentation du taux d’équipement. A cet égard, les grandes banques françaises de détail, telles que le Crédit Agricole, BNP-Paribas, la Société Générale ou le Crédit Lyonnais, affichaient à fin 2001 une moyenne d’environ 7 produits par client, ce qui semble élevé dans la mesure où l’on considère généralement qu’un compte est rentabilisé à partir de 3 produits vendus. Toutefois, le nombre moyen de crédits vendus est inférieur à l’unité dans tous les établissements (de 0,4 à 0,7 environ en moyenne selon les établissements), ce qui démontre qu’un potentiel d’équipement existe encore.
L’augmentation du taux d’équipement en produits de la clientèle s’explique par :
• l’emploi de plus en plus fréquent de packages (permettant de vendre plusieurs produits au cours d’un même rendez-vous) ou de jumelages de produits (le Crédit Mutuel du Nord couple un CODEVI et un livret ordinaire dans un livret nommé Fidélité, et réunit un PEL et un CEL dans une seule offre) ;
• le vieillissement de la population française : le taux moyen d’équipement a tendance à augmenter avec l’âge (crédit à la consommation, tenue de compte, assurances, crédit immobilier, crédit auto…). De ce point de vue, le « millésime » de la clientèle des grandes banques françaises généralistes peut contribuer à expliquer leur écart significatif de taux d’équipement avec les banques directes (Egg, Banque Directe, ING Direct) ;
• la confusion au sein dans un indicateur synthétique de produits majeurs de la relation bancaire (impliquants, fidélisants) et de produits mineurs (assurance perte ou vol des moyens de paiement, GAV, etc.).
L’augmentation du nombre de produits par client passe par :
• la multiplication du nombre de contacts clients ;
• la gestion plus fine des priorités de contacts clients (événements) ;
• l’enchaînement harmonieux des différents canaux de distribution pour aboutir à la vente.
Par exemple, un mailing sur l’assurance décès suivi d’un appel du client par le conseiller une semaine plus tard et enfin un service après vente effectué par le centre
d’appels.Ceci est rendu possible par l’interconnexion en temps réel des canaux de distribution et un poste de travail en agence disposant de fonctionnalités modernes (dossier client accessible en réseau, liste des opportunités de contact mise à jour de manière automatique grâce à un CRM, agenda partagé, guide d’entretien clientèle en fonction des actions programmées), concentrant le conseiller sur l’essentiel : la vente. BNP Paribas fournit un bon exemple de modernisation du poste de travail. Compte tenu du levier offert par l’augmentation du taux d’équipement de la clientèle (grand public) en produits, les banques conservent donc des marges de manoeuvre dans le
rythme et l’intensité de la différenciation du niveau de service offert en fonction des segments de clientèle. En outre, les clients eux-mêmes devraient progressivement modifier leurs habitudes en matière de transactions bancaires, en privilégiant par un effet d’expérience les moyens les plus efficaces et rapides (LSB, téléphone, Internet) pour leurs besoins quotidiens. Il n’y a donc pas de « fatalité » en matière de service aux particuliers (un canal/un segment de clientèle), les conseillers pouvant satisfaire l’ensemble des clients en se focalisant sur les moments forts de la relation bancaire (conclusion d’un crédit, conseil patrimonial). Dans ce cadre, le facteur de différenciation du niveau de service ne serait pas uniquement la disponibilité ou non du conseiller en agence. Il résiderait aussi dans son degré de qualification (spécialisation patrimoniale pour la clientèle aisée ou fortunée).