Après une carrière au sein du groupe Accor, Emmanuel Petit, fondateur et dirigeant de Eklo Hotels, s’est lancé dans l’entrepreneuriat et bouscule le segment de l’hôtellerie économique avec un concept novateur.
Quel a été votre parcours qui vous a amené à la création de Eklo Hotels ?
Emmanuel Petit : après une école de commerce, j’ai démarré en travaillant 12 ans au sein du groupe Accor à des postes de Direction commerciale. J’ai souhaité quitter le groupe en 2009 avec le projet de devenir entrepreneur. Après un 1er projet de reprise qui n’a pas abouti, j’ai aidé Olivier Devys, un ancien de chez Accor, à la création de son concept Okko Hotels, une chaîne d’hôtels 4 étoiles. Ce qui m’a conduit à réfléchir, à partir de 2011, à mon propre concept en m’orientant sur le segment du super économique. Les 2 premiers sites pilotes au Havre et au Mans ont vu le jour en 2014, avec 98 chambres pour chaque hôtel, un ticket d’entrée à 24-28 € et des services en option (serviette à 1 €, télévision à 2 €…).
Pourquoi avoir choisi le segment du super économique et comment avez-vous innové sur ce segment ?
E. P. : l’idée de départ est venue du constat que l’hôtellerie économique n’innovait plus depuis un certain nombre d’années. Le seul produit sur ce créneau qui existait encore était Formule 1 qui devenait obsolète et vieillissant. À la feuille de route initiale d’Eklo Hotels, à savoir vendre des chambres aux alentours de 20 € la nuit, j’ai voulu créer un concept différent qui s’appuie sur 2 valeurs fondamentales à mes yeux. D’abord, mettre l’écologique au service de l’économique. L’intégralité de l’hôtel relève ainsi de la construction modulaire, où des chambres préfabriquées en béton allégé et conçues aux normes bâtiment basse consommation sont incorporées à une ossature tout en bois. Ensuite, ce que je trouvais déprimant dans l’hôtellerie économique, c’était son manque d’humanité. Je refusais tout système de distribution automatique de chambres et je souhaitais remettre une dose d’humanité avec un accueil 24h/24 et des équipes sympathiques.
Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
E. P. : ma principale difficulté a été de trouver un site dans une ville où une collectivité accepte de nous faire confiance. Car l’hôtellerie hyper économique détient une très mauvaise image auprès des collectivités.
J’ai alors eu la chance de rencontrer notre actuel Premier ministre, Édouard Philippe, qui était, à ce moment-là, le maire du Havre et qui a adhéré à notre projet. Je ne cherchais pas particulièrement à m’implanter au Havre. J’envisageais plutôt de démarrer dans une plus grosse agglomération (comme Lyon ou Lille) qui garantit plus facilement le lancement d’un hôtel. Malgré un démarrage assez fort au Havre grâce à de bons relais médias, le business model s’avère difficile à tenir sur la durée : moindre dynamisme économique de l’agglomération, arrivée de concurrents... Or, l’hôtellerie économique, pour être rentable, suppose de générer un taux d’occupation élevé, supérieur à 60 %.
Pourquoi et comment avez-vous repositionné le concept ?
E. P. : notre virage stratégique, qui date de 2016, s’est avéré nécessaire d’abord pour obtenir l’adhésion des collectivités, mais aussi pour répondre à la demande des Millennials en quête de nouvelles expériences et face à la concurrence croissante d’Airbnb. Nous devions proposer un produit atypique, en rupture avec l’hôtellerie économique de chaîne traditionnelle. Nous nous sommes dits qu’il fallait continuer à vendre à des prix abordables avec des chambres de petite taille très confortables, mais en rajoutant des services et de la convivialité. L’idée était de s’inspirer des auberges de jeunesse nouvelle génération avec un concept hybride. Trois piliers définissent l’Eklo Hotel nouvelle génération : « éco, écolo et conviviaux ». À côté de nos 2 sites pilotes qui restent comme ils sont, avec un prix à 25-30 €, le concept d’Eklo Hotels nouvelle formule a donc vu le jour à Lille en juin 2017.
Quelles sont les spécificités de votre nouvelle formule ?
E. P. : des espaces communs à vivre très conviviaux au sein même de l’hôtel : une cuisine partagée pour les clients ouvrant sur une grande table d’hôtes, un salon avec des fauteuils club et une cheminée, un espace avec un flipper et un baby-foot...
Côté chambres, nous avons des chambres privatives (double et twins de 10 m²), quelques chambres famille (où on peut loger jusqu’à 5 personnes), mais aussi des chambres partagées (6 chambres dortoirs avec 6 lits) où on fait de la vente au lit (22 € le lit). Le ticket moyen des chambres privatives est plus élevé : entre 40 et 45 €, selon que le client réserve directement sur notre site ou via Booking. Nous sommes déjà à 65 % de taux d’occupation avec un profil de clientèle intergénérationnelle, des CSP multiples.
Après Eklo Lille, quels sont vos prochains projets d’ouverture ?
E. P. : nous avons plusieurs projets d’envergure en cours. D’abord, à Bordeaux avec un 1er hôtel en béton sur l’éco-quartier à Bastide-Niel qui ouvrira fin 2018, de plus grande capacité (130 chambres). C’est au sein de cet hôtel que je vais d’ailleurs déménager le siège social de l’entreprise. Ensuite, à Clermont-Ferrand avec notre 1er hôtel bâti avec un promoteur immobilier Linkcity (filiale de Bouygues Construction), pour une ouverture sur le 2e trimestre 2019. Et nous avons 3 autres projets bois pour 2019 à Dijon, Marne-la-Vallée et un très beau projet à Toulouse géré par le promoteur Icade dans l’éco-quartier de la Cartoucherie, lauréat du concours « Immeuble à vivre bois ». Baptisé Cartoucherie Wood’Art, la tour en bois de 9 étages abritera un hôtel sur 5 étages. Nous ambitionnons aussi de nous implanter en région parisienne avec la perspective des J.O. couplée au Grand Paris qui ouvre des opportunités à saisir dans l’hôtellerie. Nous avons notamment gagné un projet à Vitry-sur-Seine dans l’appel à projets « Inventons la métropole » du Grand Paris et nous allons aussi nous implanter en 2021 près de Roissy.
Quelles sont, à plus long terme, vos perspectives de développement et envisagez-vous une ouverture à la franchise ?
E. P. : l’objectif est de développer Eklo dans les grandes métropoles françaises avec plusieurs établissements, ainsi que dans les villes de taille moyenne. Nous avons un programme de développement ambitieux avec une cinquantaine d’hôtels dans les 5-6 ans à venir. Mais je souhaite avoir suffisamment de recul sur la rentabilité du nouveau concept de Lille avant d’envisager un déploiement en franchise, et ce afin que les 2 parties (le franchisé et le franchiseur) y trouvent leur compte. Je pense que ce nouveau business model est franchisable, mais il nous faudra trouver les bons partenaires qui respectent notre concept et son niveau de qualité afin de maintenir l’image et la notoriété de la marque. Nous avons privilégié pour le moment le développement en propre pour garder la maîtrise sur le produit, écouter nos clients et impliquer nos salariés dans l’esprit de la marque.