THERAPIES NUMERIQUES : PROCHAINE RUPTURE SUR LE MARCHE DE LA E-SANTE ?

27 mai 2020 par
THERAPIES NUMERIQUES : PROCHAINE RUPTURE SUR LE MARCHE DE LA E-SANTE ?
LES ECHOS ETUDES

Malgré l’engouement pour la e-santé, les solutions numériques peinent à trouver leur place dans le parcours de soins, en raison notamment du manque de validation clinique. L’arrivée des thérapies numériques pourrait-elle changer la donne ?

Thérapies numériques ou digitales, DTx, digiceutiques… les termes fleurissent et les conférences qui leurs sont consacrées se multiplient à travers le monde. Marqueur de ce phénomène : la création fin 2017 de la DTx Alliance, dont l’objectif est de structurer ce nouveau marché et partager les bonnes pratiques. Si le terme « DTx » est relativement récent, plusieurs membres fondateurs de cette Alliance sont en revanche actifs depuis de nombreuses années : à titre d’exemple, le français Voluntis a été fondé en 2001, Welldoc en 2005 et Omada en 2011. Les DTx constituent-ils un nouvel avatar de la e-santé ou marquent-ils une vraie rupture sur le marché du numérique en santé ? Augurent-ils l’émergence d’une nouvelle classe de produit de santé venant enrichir les arsenaux thérapeutiques existants ?

Thérapies numériques : une définition encore évolutive et un marché hétérogène
Les solutions se réclamant du marché des thérapies numériques se revendiquent comme des interventions thérapeutiques à part entière, légitimes au même titre qu’un traitement médicamenteux pour prendre en charge une affection ou un trouble. Pour y parvenir, les fabricants de DTx aspirent, pour leurs produits, à un parcours administratif et un accès au marché proches de ceux des médicaments et des dispositifs médicaux, fondés sur une évaluation clinique, une homologation par les autorités de santé compétentes, une éventuelle prise en charge par la collectivité et la prescription par un professionnel de santé. A la différence que le principe actif d’un DTx n’est pas pharmacologique… mais numérique.

Les DTx se différencient ainsi du marché plus global de la e-santé par l’impératif de preuves cliniques permettant de démontrer leur efficacité thérapeutique et le rôle central joué par le logiciel ou l’algorithme, au cœur du dispositif. Celui-ci transforme en effet la donnée en information exploitable permettant d’agir effectivement sur la prise en charge et la santé de l’utilisateur. L’objectif est de tirer le meilleur des deux univers, médical et digital, dans le but d’augmenter les thérapies « traditionnelles », et ce grâce à la capacité de collecte, d’analyse et de partage des données en temps réel. A la clé, des dispositifs permettant d’enrichir l’arsenal thérapeutique en matière de prévention, gestion et traitement des maladies

Si chacune des thérapies numériques repose fondamentalement sur le rôle clé joué par le logiciel, les formats de « délivrance » varient grandement d’une solution à une autre : application, capteur, réalité virtuelle, mais aussi plate-forme cloud, algorithme indépendant ou jeux vidéo. Les thérapies numériques emploient toute la richesse de ces supports et capteurs afin d’agir et de réagir à différentes étapes du parcours de soins.

La plupart des solutions actuellement développées se répartissent en deux catégories :
- Celles combinées à un traitement médicamenteux : algorithme de dosage du traitement, capteur intégré au médicament pour un suivi de l’observance, application compagnon pour améliorer la gestion des effets indésirables…
- Des solutions indépendantes pouvant être utilisées seules ou en complément d’une prise en charge médicamenteuse ou non : algorithme d’analyse des symptômes pour mieux prévenir les rechutes, programme de réalité virtuelle pour prendre en charge la douleur, thérapie comportementale en ligne ou jeux vidéo pour traiter les troubles neurologiques ou comportementaux.

Un nouveau marché en phase de structuration, tant sur le plan réglementaire qu’en matière de déploiement opérationnel
Le cadre réglementaire dans lequel s’inscrivent les DTx est en pleine évolution, avec notamment l’entrée en vigueur en 2017 du règlement européen relatif aux dispositifs médicaux (remplaçant les directives existantes). L’application obligatoire du règlement à partir de mai 2020 devrait venir polariser le marché des thérapies numériques autour de deux axes principaux :
- Les DTx relevant du statut des DM ayant une revendication médicale et pour lesquels le règlement renforce les exigences,
Les DTx ne relevant pas nécessairement du statut du DM, positionnés sur le marché de la santé sous l’angle du bien-être et de la prévention, mais fondés sur une approche scientifique permettant d’apporter des preuves cliniques de leur performance et de leur sécurité.

Le parcours pour acquérir le statut de dispositif médical, a fortiori lorsqu’il intègre de l’IA, étant particulièrement long et couteux, il est à prévoir qu’une partie des fabricants feront le choix de privilégier le statut non régulé, au moins dans un premier temps (et pour ceux qui peuvent faire valoir un bénéfice pour la santé sans pour autant afficher une revendication médicale). A titre d’exemple, une application focalisée sur la gestion du stress et de l’anxiété ne nécessitera pas obligatoirement le statut de dispositif médical, tandis qu’une application similaire utilisée dans le traitement de la dépression devra disposer du marquage CE. Cette polarisation pose la question du cadre d’évaluation et de certification ou labellisation des solutions non DM, qui n’a pas encore été formellement clarifié en France.

En fonction du positionnement adopté par les fabricants, plusieurs enjeux se poseront de manière plus ou moins aigue :
- L’évaluation des thérapies numériques, en particulier celles intégrant des algorithmes de machine learning. Si la HAS a déjà intégré dans sa méthodologie des spécificités propres aux DM connectés, les modalités concernant les modules d’IA sont encore en cours d’élaboration (consultation publique initiée fin 2019 en vue de l’élaboration d’une grille d’évaluation).
- Les problématiques éthiques et juridiques, avec en particulier les questionnements autour de la responsabilité (quel partage de responsabilité entre les différents acteurs de la chaîne de décision ?) et des conditions d’information du patient (quelle démarche adopter pour expliquer les principes de fonctionnement d’un algorithme d’IA en vue de l’adhésion thérapeutique ?).
- Les freins en matière d’impact organisationnel et la montée en compétence de tout l’écosystème. L’adoption des thérapies numériques nécessite souvent une évolution des protocoles et des rôles des intervenants dans le parcours de soins. D’où la nécessité de former les différents acteurs à ces solutions innovantes.
- La complexité d’identifier un modèle économique pérenne et viable pour les acteurs, permettant d’allier accès à l’innovation, développement industriel et soutenabilité économique pour la collectivité.
- La prise en compte des spécificités techniques de ces solutions centrées sur des logiciels, tant en termes d’interopérabilité que d’évolutivité et de cybersécurité.

La place croissante de l’intelligence artificielle, évolution naturelle de thérapies numériques qui est encore aujourd’hui fondée en grande partie sur des systèmes experts, rend la diffusion rapide de ces solution encore plus complexe : biais d’algorithme, accès à des bases de données structurées, adéquation des jeux de données aux populations cibles…

Un environnement favorable et une dynamique positive pour le marché des DTx
Les pouvoirs publics, en France comme à l’étranger, ont saisi l’importance de mettre en œuvre une politique volontariste favorable au numérique en santé. Dans l’Hexagone, la feuille de route « Accélérer le virage numérique », telle que définie dans le cadre du plan « Ma Santé 2022 », adresse la plupart des problématiques nécessaires au développement et à la diffusion des thérapies numériques. Parallèlement, les différentes agences et organisations du champ sanitaire, notamment l’Agence du Numérique en Santé, la HAS et l’ANSM, font évoluer leurs référentiels et méthodologies pour accompagner les fabricants dans cette dynamique (publication de la doctrine technique du numérique en santé, projet de grille d’analyse pour l’évaluation de DM intégrant de l’IA ou encore projet de guide sur la cybersécurité des dispositifs médicaux).

Grâce à ce nouveau cadre, fabricants de DTx, évaluateurs et professionnels de santé disposent d’un socle pour garantir la confiance, fondée sur la légitimité clinique et les premiers référentiels d’évaluation, de performance et de sécurité. Le développement de ce nouveau marché pourrait donc faire entrer la e-santé dans une nouvelle ère : celle de l’intégration effective de solutions numériques dans le parcours de soins.

Article rédigé par Céline Sportisse, consultante et associée du cabinet de conseil KARETIS, auteur de l’étude publiée par Les Echos Etudes en février 2019 « Thérapies numériques : vers une nouvelle catégorie de produits de santé ? »

Présentation détaillée de l'étude "Thérapies numériques : vers une nouvelle catégorie de produits de santé ?"

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