Les recherches d’économies en matière de gestion des stocks nationaux de produits de santé ont eu des conséquences désastreuses
Les années 2000 ont vu le retour des menaces sanitaires de grande ampleur liées à des épidémies, des phénomènes climatiques et des actes terroristes. C’est dans ce contexte que la gestion des stocks nationaux de produits de santé constitués en cas d’attaque terroriste ou de pandémie, a été confiée, par la loi du 5 mars 2007, à une agence sanitaire cofinancée par l’Etat et l’Assurance-Maladie : l’Etablissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires (EPRUS). Conséquence lointaine de l’affaire du sang contaminé, il s’agissait d’une étape de plus dans la multiplication des agences « fusibles » chargées de missions qui incombaient auparavant à la Direction Générale de la Santé. On en comptait 10 au début des années 2010.
C’est à cette petite structure d’une trentaine d’agents qu’est revenue, par exemple, la responsabilité de s’assurer que chaque Français disposerait d’un comprimé d’iode en cas d’irradiation massive mais aussi de masques, d’antiviraux, d’antibiotiques… Le baptême du feu de cette nouvelle agence a été la grippe H1N1 en 2009 et la polémique a été vive qui comparait les 44 millions de doses de vaccins commandées aux 5,36 millions de personnes effectivement vaccinées lors de cette épidémie. 447 M€ avaient alors été dépensés, dont 334 M€ en vaccins.
Des stocks stratégiques divisés par deux
Dans un souci de simplification et d’économie, la loi Santé de Marisol Touraine de janvier 2016 a fusionné l’EPRUS avec deux autres agences aux missions bien différentes : l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Le nouvel ensemble a été rebaptisé Santé Publique France. Son budget 2020, avant crise sanitaire, était de 200 M€, à comparer aux 251 M€ de budget combiné pour l’année 2010 des trois agences qu’il a remplacé.
La création de Santé Publique France s’est accompagnée d’une inflexion majeure dans la politique gouvernementale de gestion des stocks stratégiques. En la matière, la décision demeure une prérogative du Ministre de la santé mais la doctrine est élaborée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) placé auprès du Premier Ministre. Cette instance a par exemple proposé que le stock national de masques ne concernerait désormais que les masques de protection chirurgicaux à l’attention des personnes malades et de leurs contacts, tandis que la constitution de stocks de masques de protection des personnels de santé (dont les fameux FFP2) était désormais à la charge des employeurs. De la même façon, si les objectifs de population à couvrir pour répondre aux différents risques sont établis dans un cadre interministériel, notamment par le SGDSN, la décision d’acquisition ou de renouvellement des stocks stratégiques appartient exclusivement au Ministre de la santé. Juste avant de disparaitre en 2016l’EPRUS avait vu la valeur de ses stocks divisée par deux depuis 2010.
Le sleeping contract comme source d’économies
Toujours pour économiser sur les coûts d’achat, de stockage des produits et de destruction des périmés, le ministère a développé, au milieu des années 2010, le concept de « sleeping contract » pour la fabrication de vaccins : une réservation de capacités de production et d’acquisition auprès des grands laboratoires pharmaceutiques, plutôt qu’un achat. En 2014, a ainsi été lancé un appel pour une tranche ferme de réservation de capacités de production de plusieurs millions de doses de vaccins pandémiques. La faible adhésion des laboratoires pour ce concept a rendu la consultation infructueuse…
La critique rétrospective est une tentation facile. Mais ces recherches d’économies de bouts de chandelles apparaissent aujourd’hui bien dérisoires à l’échelle des risques encourus par les soignants et des coûts économiques générés par la pénurie de dispositifs de protection.
Raoul Tachon, consultant, secteur sanitaire et médico-social, et auteur pour Les Echos Etudes
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