Fort de son expérience américaine, le boulanger star de San Francisco revient en France avec un concept inédit de micro-boulangeries artisanales. Interview de Pascal Rigo, fondateur de La P’tite Boulangerie.
Quel est votre parcours ?
Pascal Rigo : après un CAP de boulanger dans la région bordelaise et un passage chez différents industriels de la boulangerie, je me suis rapidement installé aux États-Unis où j’ai créé ma propre entreprise en 1997, à Los Angeles. Je produisais de gros pains au levain, alors inconnus des Américains. J’ai vendu cette entreprise pour ensuite m’installer à San Francisco avec, dans un premier temps, une activité industrielle, puis en ouvrant une vingtaine de Cafe & Bakery « La Boulange », c’est-à-dire des boulangeries avec un espace de restauration au positionnement déjà très affirmé : des produis de qualité à des prix abordables.
Et, en 2012, Starbucks rachète votre entreprise pour 100 millions de dollars…
P. R. : oui, une offre que je ne pouvais pas refuser ! Je me suis ensuite occupé de l’ensemble du département Food de Starbucks pour l’Amérique du Nord. L’objectif était de redéfinir l’offre alimentaire de la chaîne, en proposant des produits plus qualitatifs, proches de ceux que les consommateurs appréciaient dans mes boulangeries. Et nous y sommes parvenus en un temps record. En seulement 2 ans et demi, nous avons doublé le chiffre d’affaires Food de Starbucks, de 1,5 à 3 Mds$. Un gros succès… mais, dans des grandes entreprises comme celles-ci, les entrepreneurs s’essoufflent vite. Et c’est ce qui m’est arrivé. J’ai donc récupéré l’activité industrielle ainsi qu’une partie des magasins que je leur avais vendues, et je suis reparti pour un tour ! J’ai aujourd’hui 8 boulangeries aux États-Unis et une dizaine d’ouvertures sont prévues à court terme, sous l’enseigne « La Boulangerie de San Francisco ».
Et en 2016, vous ouvrez La P’tite Boulangerie au Cap Ferret. Comment l’idée est-elle née ?
P. R. : complètement par hasard. Je suis originaire du Bordelais et j’avais envie d’y passer plus de temps. Et pour m’amuser, pour éviter de m’ennuyer lors de mes vacances dans la région, j’ai ouvert au Cap Ferret avec Christophe Prias, un ami d’enfance, une micro-boulangerie. Elle est toute petite, à peine 26 m², mais légalement, c’est une véritable boulangerie car nous pétrissons, façonnons et cuisons le pain devant nos clients. Très rapidement, notre concept a séduit de nombreux entrepreneurs et distributeurs, étonnés par la qualité de nos produits et de notre assortiment dans une surface aussi petite. J’ai ainsi découvert de nombreuses applications auxquelles je n’avais pas pensé. Nous avons donc, avec Florence Méro et Arnaud Chevalier, affiné le concept de La P’tite Boulangerie.
Quelles sont les spécificités de vos boulangeries ?
P. R. : le concept repose sur la taille très réduite des boulangeries. Nous avons développé un véritable savoir-faire sur la façon de travailler dans un espace réduit. C’est notre force car cela permet de nous implanter partout, dans des centres-villes, des marchés, à l’intérieur de magasins… Et comme il n’y a pas plus de 1,5 mètre entre le four et la caisse, cela permet au boulanger, à la fois, de faire le pain et de le vendre. Nous voulons remettre l’artisan au centre du point de vente.
Comment vous différenciez-vous en termes d’offre ?
P. R. : l’offre est en complète cohérence avec mes principes de base, ceux qui m’ont toujours animés : ne jamais faire de compromis sur la qualité et toujours essayer de faire en sorte que tout le monde puisse se l’offrir.
Au niveau de l’assortiment, nous essayons de faire au mieux, avec des contraintes fortes en termes de surface. Notre offre reste centrée sur le pain. Toutes nos farines sont bio et tous les produits que nous utilisons sont naturels. Nous privilégions, par ailleurs, les fournisseurs locaux.
Et en termes de modèle économique ?
P. R. : l’idée est de rationaliser l’espace pour limiter les coûts d’investissement, de l’ordre de 150 000 € par point de vente, contre 500 000 € lors de la reprise d’une boulangerie traditionnelle. Le retour sur investissement est donc extrêmement intéressant pour nous et, bien sûr, pour les boulangers partenaires.
Nous réalisons tous les investissements et nous sommes capitalistiquement complètement impliqués dans chacune de nos boulangeries. Nous travaillons avec des boulangers indépendants passionnés qui n’investissent rien. Ils ont immédiatement une part du capital et au fur et à mesure du remboursement de l’investissement, de façon mécanique, ils renforcent leur position au capital jusqu’à devenir actionnaires majoritaires de l’établissement.
Comment votre réseau est-il amené à évoluer ?
P. R. : nous avons vocation à devenir un réseau national de micro-boulangeries artisanales. Nous venons d’ouvrir 2 micro-boulangeries à Bordeaux, dont une dans un marché couvert, une première en France ! À court terme, de nombreuses ouvertures sont prévues à Bordeaux et en région parisienne. Des négociations sont également en cours avec de grandes enseignes de la distribution alimentaire pour l’implantation de nos boulangeries dans leurs magasins.
N’est-ce pas incompatible avec votre positionnement 100 % artisanal ?
P. R. : au contraire ! Si nous voulons faire venir les consommateurs chez nous, il faut s’installer là où ils sont. Nous pourrons ainsi leur démontrer, par la qualité de nos produits et nos prix raisonnables, qu’il existe une alternative à la baguette à bas prix, peu qualitative. Faire de très bons produits à très grande échelle où chacun gagne bien sa vie, c’est possible ! Nous l’avons déjà fait aux États-Unis.
Comment envisagez-vous votre avenir ?
P. R. : j’envisage de passer la plus grande partie de mon temps en France. Ce projet est tellement extraordinaire qu’il faut que je revienne ! De plus, je trouve que les états d’esprit changent aujourd’hui en France, l’entrepreneuriat retrouve ses lettres de noblesse.