Plus personne ne conteste le rôle que joue les gaz à effet de serre produits par l’activité humaine sur les changements climatiques et la biodiversité. Réduire leurs émissions s’inscrit donc comme une absolue nécessité afin, conformément aux accords internationaux sur les changements climatiques, de parvenir à limiter la hausse des températures moyenne sous les 2°. Mais comme le note l’Ademe, si l’objectif d’atteindre en France la neutralité carbone d’ici 2050 est clair pour tout le monde, le chemin pour y parvenir « reste encore flou, voire inconnu, pour les décideurs et les citoyens ». Raison pour laquelle l’Agence pour la transition écologique a élaboré, pendant deux ans, quatre scénarios différents qui nous mettraient sur la voie de cette neutralité carbone afin que chacun puisse appréhender les changements qu’imposeraient leur mise en œuvre. Des scénarios, tous difficiles, qui doivent rapidement faire l’objet d’un large débat public. Présentation.
Génération frugale
Dans ce premier scénario, « la transition est conduite principalement grâce à la frugalité par la contrainte et par la sobriété », note l’Ademe. En plus des réductions de consommation d’énergie et de matières premières volontaires, des mesures de coercition sont débattues et adoptées : limites de vitesse, limitation de l’accès au transport aérien, transformation des bâtiments vacants et des résidences secondaires en résidences principales… Des contraintes qui, pour réduire le risque de clivage fort au sein de la société, sont autant que possible « adoptées en priorisant une vision égalitaire de la transition », insiste l’Ademe précisant que « les normes et valeurs évoluent vers une économie du lien plus que du bien, très ancrée sur les territoires et leurs ressources. La nature est sanctuarisée, ce qui conduit à une exploitation raisonnée ». Concrètement, le parc immobilier est mieux utilisé. Le nombre moyen de personnes par logement passe de 2 à 2,1 et le parc des résidences secondaires de 9 % actuellement à 2,5 % en 2050. Quant à la rénovation énergétique des bâtiments, elle est fortement stimulée permettant d’atteindre 80 % de logements « basse consommation » (BBC). Le chauffage au gaz de réseau tend à disparaître alors que se développe le chauffage au bois.
Côté production, compte tenu de la mutualisation des appareillages, de la baisse de la demande de mobilité et du développement de l’économie circulaire, la demande en biens décroit : division par 2 du nombre de voitures produites, baisse de 70 % de la consommation d‘engrais de synthèse par habitant… « Le système productif se décarbone principalement via la biomasse, pour atteindre -53 % de consommations énergétiques et -79 % d’émissions de GES en 2050 », précise l’Ademe.
Coopérations territoriales
Dans ce deuxième scénario, l’Ademe propose d’instaurer une gouvernance partagée (ONG, institutions publiques et privées, société civile) et de coopération territoriale pour atteindre la neutralité carbone. Clé de la cohésion sociale, cette coopération permet à la société de muter à un rythme progressif mais soutenu. La consommation de biens devient mesurée et responsable, le partage se généralise. « Les habitudes de travail, l’alimentation, les déplacements ou la consommation sont de fait moins contraints que dans le premier scénario mais marquent une rupture avec l’histoire récente », précise l’Ademe. La coopération permet une large mobilisation et le fléchage d’investissement massifs, notamment, dans la production d’énergies renouvelables et le renouvellement des infrastructures et des pratiques industrielles.
L’alimentation devient plus sobre, plus végétale (consommation de viande est divisée par 2, contre par 3 dans le premier scénario) et les pertes sont réduites de moitié. Les circuits courts deviennent la principale voie de commercialisation de l’alimentation. En termes d’urbanisme, les populations se concentrent dans des villes en hauteur dans lesquelles des espaces naturels sont intégrés. Là encore, 80 % des locaux répondent à la norme BBC. La demande de mobilité est en baisse de 17 % par rapport à aujourd’hui (contre -26 % dans le premier scénario) et le trafic de marchandises (en tonne par km) est en repli de 35 %. Au global, les émissions directes de gaz à effet de serre du secteur des mobilités baissent de 95 %. Les investissements massifs permettent de s’orienter vers une production industrielle bas carbone. « Au bilan, une réduction des consommations énergétiques de 47 % et des émissions de gaz à effet de serre de 84 % est atteinte en 2050 dans l’industrie », précise l’Ademe.
Technologies vertes
Ici, ce ne sont pas les changements de comportements qui permettent d’atteindre les objectifs mais les avancées technologiques. Ainsi, outre le fait d’adopter une alimentation moins carnée (-30 %), les habitudes de vie ne changent pas beaucoup, seule leur modalité évolue : par exemple, la mobilité individuelle reste la norme, mais en revanche, elle s’appuie sur des véhicules légers et électrifiés.
Dans ce scénario, l’État ne contraint pas mais adopte des politiques incitant les acteurs économiques à décarboner. Les meilleures technologies sont ainsi déployées et proposées sur le marché au risque, si un encadrement n’est pas proposé par la puissance publique, alerte l’Ademe de « ne pas permettre aux plus pauvres d’accéder aux besoins de base ». Le capital nature est davantage valorisé pour inciter les acteurs privés à développer des solutions techniques visant à mieux le protéger. La demande de mobilité augmente de 23 % par rapport à celle d’aujourd’hui.
Quant à l’industrie, sa production baisse légèrement et comble une partie toujours plus grande de ses besoins en matières premières grâce au recyclage des déchets. Sa décarbonation s’opère par l’électrification des procédés et le recours à l’hydrogène. « Au bilan, une réduction des consommations énergétiques de 30 % et des émissions de gaz à effet de serre de 86 % est atteinte en 2050 pour l’industrie ».
Pari réparateur
Dans ce dernier scénario, les modes de vie du début du 21e siècle sont sauvegardés. Dès lors « la maîtrise technique de la nature par les hommes devient un objectif de résilience. Les défis écologiques sont gérés par des solutions ciblées et technocentrées », précise l’Ademe. Individus et société se protègent, notamment via un marché assuranciel contre les conséquences des changements climatiques. L’alimentation évolue peu (-10 % de consommation de viande) et l’agriculture intensive et compétitive reste la norme. « L’agriculture utilise toutes les technologies pour optimiser sa production et limiter ses impacts mais consomme environ 65 % d’eau d’irrigation de plus qu’aujourd’hui », notent les auteurs du rapport. Pour répondre à un constant besoin de confort des habitants, les grandes villes et l’artificialisation des sols se développent. La maison individuelle qui reste le standard répond à un niveau d’isolation très élevé.
Quant à la mobilité, elle s’accroît de 39 % sous l’effet de l’augmentation des voyages longue distance aériens. La voiture individuelle électrique reste le moyen de transport privilégié malgré l’essor des véhicules autonomes collectifs.
L’industrie fait face à une demande sans cesse croissante dans un marché mondialisé. Les importations restent très soutenues. Pour décarboner, l’industrie table sur le captage et le stockage géologique du CO2, une technologique pas encore maîtrisée aujourd’hui. « Au bilan, les consommations énergétiques de l’industrie ne se réduisent que de 19 % en 2050, induisant un recul de 54 % des émissions des gaz à effet de serre avant captage », conclu l’Ademe.