A l’inverse des secteurs du luxe et de la grande distribution, l’industrie pharmaceutique en France ne tire pas encore pleinement parti du digital. Les Echos Etudes explore ce paradoxe et dévoile les stratégies à succès mises en place en France par certains laboratoires.
La culture digitale gagne progressivement les états-majors des laboratoires pharmaceutiques
La promotion pharmaceutique, et notamment la visite médicale, constitue le principal vecteur de diffusion de la culture digitale au sein des groupes pharmaceutiques. La baisse des effectifs de visiteurs médicaux et la diminution des budgets promotionnels favorisent en effet leur « mutation digitale », car ce sont en premier les équipes marketing-vente qui voient dans le digital une opportunité de gagner en productivité, pallier les importantes baisses d’effectifs de VM et poursuivre une stratégie de présence auprès des professionnels de santé. Toutefois, la culture digitale ne se diffuse que progressivement parmi les états-majors des laboratoires présents dans l’Hexagone. En effet, la centralisation des décisions stratégiques au niveau des sièges conduit les filiales à adopter un mode de fonctionnement de plus en plus « exécutif ». Ceci a une conséquence directe sur les modalités de déploiement des stratégies digitales : les équipes des filiales se limitent dans la plupart des cas à transposer et traduire les supports digitaux et les contenus élaborés dans le cadre stratégique défini par leur maison-mère. Ce qui limite le bénéfice opérationnel vis-à-vis des situations locales et ne permet pas à ces équipes de prendre véritablement conscience de l’enjeu stratégique majeur du digital (connaissance du client, efficacité de chaque canal utilisé, stratégies cross-canal à mettre en place…). Au final, les projets digitaux sont vécus comme une somme de contraintes réglementaires et non comme l’occasion d’acquérir une culture digitale approfondie et d’enrichir la connaissance des patients et des professionnels de santé.
L’impact du digital et de la m-santé sur la relation patient-médecin
Le web 2.0 et l’irruption des terminaux connectés bouleversent la relation des patients à leur maladie et à leur médecin. Rappelons que la santé - un cinquième des messages échangés ou des recherches effectuées sur le web - est devenue l’un des sujets les plus discutés et un thème majeur de préoccupation des internautes. Les maladies chroniques sont les premières concernées. Près de quatre français sur dix estiment que leur médecin ne donne pas suffisamment d’informations sur les médicaments qu’ils prescrivent. En conséquence, 78 % des patients cherchent des informations supplémentaires en se reportant aux notices des médicaments (59 %), en allant sur Internet (53 %) ou en interrogeant leur pharmacien (43 %).
Et face à ce besoin d’information, 57 % des français jugent utile d’avoir des applications sur leurs téléphones portables pour gérer leur santé ou suivre leurs traitements. Les applications mobiles « santé » sont ainsi en forte demande, comme le souligne l’étude du Leem sur les rapports que les français entretiennent avec les médicaments. Le smartphone devient progressivement un tiers dans la relation médecin-patient. Il doit donc être exploité en tant que tel. La m-santé, c’est-à-dire le domaine des applications dédiées à la santé développées pour les terminaux connectés, est une occasion de contribuer à améliorer l’efficience du parcours de soins, à travers de nouveaux partenariats entre industriels, organismes payeurs et offreurs de soins, et autour de l’épidémiologie, l’efficience des traitements, les programmes d’observance et de disease management. L’exemple actuellement le plus emblématique de cette nouvelle forme de partenariat est celui que la société Voluntis a noué avec Sanofi dans le cadre du projet Diabéo®, plate-forme d’échanges qui permet une communication « Internet » et « mobile » entre le malade et son équipe traitante, avec un échange autour du suivi de la glycémie (cette plate-forme est composée de trois modules : un portail web médecin, un portail web patient et un logiciel mobile pour smartphone). Sanofi et Voluntis espèrent un déploiement et le remboursement par l’Assurance-maladie obligatoire de Diabéo® à l’horizon 2014.
D’autres exemples méritent d’être soulignés. L’application IChemo Diary®, développée par MSD, permet aux patients sous chimiothérapie de suivre les effets indésirables liés à leur traitement et d’échanger auprès de leur équipe soignante. L’application Mon Asthme® des laboratoires GSK, développée en partenariat avec l’Association Asthme & Allergies et le Comité National contre les Maladies Respiratoires, offre de nombreuses fonctionnalités : test du contrôle de l’asthme, suivi du nombre de prises du traitement de secours, évaluation de la valeur du peak flow, agenda des rendez-vous médicaux, géolocalisation des écoles de l’asthme, suivi graphique du contrôle de l’asthme, rapport par e-mail vers le médecin. Autre exemple : l’application mobile d’automesure tensionnelle du laboratoire Ipsen permet de respecter les recommandations officielles concernant la mesure tensionnelle. Le patient est autonome dans la prise de ses mesures à domicile, ce qui évite l’effet « blouse blanche » généralement associé aux mesures prises au cabinet du médecin. Les moyennes des différentes mesures sont calculées automatiquement et donnent lieu à un rapport en PDF qui peut être directement envoyé au médecin pour contrôle, ou imprimé et remis en mains propres par le patient.
Ces quelques exemples montrent que le digital est en train de modifier profondément la relation entre le médecin et son patient. Et nous n’en sommes qu’au début de cette révolution, car de nouvelles pratiques de santé sont désormais rendues possibles par l’apparition de dispositifs connectés qui inaugurent l’Internet des objets : balances, tensiomètres, cardiofréquencemètres, casques de biofeedback à EEG... Le #QuantifiedSelf (pratique de la « mesure de soi ») fait référence à un mouvement né en Californie qui consiste à mieux se connaître en mesurant des données relatives à son corps et à ses activités. Les applications dédiées au sport vont par exemple mobiliser la fonction GPS du smartphone pour enregistrer et analyser la trace d'un parcours et en déduire la vitesse, le dénivelé, le nombre de calories perdues, les records battus, etc.
Le digital, source d’innovation pour l’industrie pharmaceutique
Le digital a une capacité disruptive intrinsèque dans la mesure où il transforme les chaînes de valeur et les règles du jeu des acteurs établis. Il fournit à l’industrie pharmaceutique l’opportunité de faire évoluer son business model classique, en le faisant passer du statut de « développeur et fabricant de médicaments » à celui « d’offreur de solutions thérapeutiques », associant traitements médicamenteux et services personnalisés.
L’enquête conduite par Meditailing en mai 2013 auprès de 115 dirigeants et responsables de laboratoires pharmaceutiques en France fait apparaître comme « leviers majeurs » pour favoriser le retour de la croissance, la capacité à développer des services innovants auprès des patients et des professionnels de santé. Le digital doit être appréhendé comme un vecteur de croissance et de création de valeur. Le champ des innovations digitales est immense, tant à destination des professionnels de santé (web casting, web conference, serious games…), que des patients (dispositifs connectés, apps, réseaux sociaux dédiés, advergaming…). Le développement des interfaces entre le digital et la vie réelle (QR codes, flashcodes, géolocalisation, réalité augmentée…) permet aux laboratoires de promouvoir et de diffuser ces services innovants et personnalisés.
Mais force est de constater que l’industrie pharmaceutique en France peine à définir et mettre en œuvre des stratégies digitales efficaces. Peu de laboratoires ont par exemple déployé une politique de community management et de présence sur les médias sociaux (comme le font Roche et Boehringer Ingelheim notamment). En interne, les nouvelles pratiques de production éditoriale de contenus attractifs commencent juste à être déployées, alors que des réseaux sociaux privés type Yammer sont sans doute plus efficaces que les e-mails pour informer et favoriser l’engagement des salariés…
Digital et best practices pour l’industrie pharmaceutique
Les benchmark avec d’autres secteurs plus « digitalisés » que la pharmacie et l’analyse des best practices permettent de tirer quelques enseignements utiles pour les laboratoires pharmaceutiques.
En premier lieu, afin d’améliorer et d’automatiser leur connaissance client, les laboratoires doivent envisager d’emblée la capture des e-permissions et exploiter une base de données comportementales pour contextualiser efficacement leurs messages.
Il est par ailleurs souhaitable voire vivement recommandé de proposer des innovations digitales en cohérence avec les parcours de soins des patients et ce, dans une vision long terme, bien au-delà des cycles classiques de promotion.
La stratégie digitale ne doit pas se limiter au web. Elle doit intégrer systématiquement des applications mobiles et leur promotion, dans le cadre d’un service lié au médicament ou au champ thérapeutique couvert. Les solutions destinées aux professionnels de santé par exemple, comme l’e-detailing, les congrès médicaux hybrides, les web TV… doivent être conçues pour être des éléments au service d’un déploiement cross canal efficace.
Enfin, il devient essentiel d’éduquer en profondeur les visiteurs médicaux, les médecins régionaux et les KAM à leur environnement digital car ils ne peuvent plus ignorer les signaux émis sur la toile par les professionnels de santé. Visiter un médecin en ignorant son activité sur Twitter® ou ses positions sur les réseaux sociaux est désormais contre-productif.
La différenciation est en cours et la courbe d’expérience s’acquiert par la mise en place de pilotes, l’implication des équipes locales et des différentes fonctions de l’entreprise… étapes essentielles vers une plus grande agilité digitale.