Dans un contexte de réglementation contraignante, de saturation des équipements commerciaux et de forte intensité concurrentielle sur les marchés domestiques, l’expansion à l’international demeure un relais de croissance central pour les distributeurs européens. Néanmoins, deux écueils doivent être soulignés. L’internationalisation est un processus de long terme et la profitabilité des marchés étrangers ne rattrape que lentement celle des marchés domestiques. Ainsi, un groupe comme Carrefour qui a débuté son internationalisation depuis deux décennies, la France reste de loin le marché qui dégage la meilleure profitabilité d’exploitation. Sur courte période, l’international peut générer des pertes importantes et détruire de la valeur. Les trois dernières années ont illustré les risques encourus par les enseignes. Exposés à une forte instabilité politique et économique, les distributeurs implantés en Amérique latine ont ainsi vu en 2002 leurs ventes consolidées reculer et leur taux d’endettement progresser suite aux dévaluations monétaires. Par ailleurs, les pertes enregistrées dans les pays touchés par des crises économiques sont venues fragiliser des structures financières déjà dégradées par les investissements réalisées dans ces régions (effet de ciseau). La sousestimation des risque-pays et la destruction de richesse enregistrée dans les zones instables (2,3 milliards d’euros pour Casino entre 1996 et 2002 selon une étude de JP Morgan) ont modifié le profil de risque des distributeurs
européens, conduisant à un recul des cours boursiers des groupes les plus internationalisés : – 35 % pour Carrefour en 2002 et – 75 % pour Ahold suite à la publication des pertes réalisées aux États-Unis. Si les motivations du développement international demeurent, les difficultés rencontrées sur certains marchés et les sanctions boursières ont contraint les distributeurs à affiner leurs stratégies. À l’instar des retraits opérés par Auchan (États-Unis) et Ahold (Chili, Paraguay) en 2003, les groupes tendent à rationaliser leurs implantations et à redéployer leurs investissements vers un nombre plus restreint de pays jugés prioritaires où le groupe peut espérer occuper des positions leaders. Cette plus grande sélectivité se traduit notamment par une consolidation dans les pays où les distributeurs occupent une place de leader. En dépit
d’une instabilité économique, Carrefour maintient ainsi sa présence au Brésil dans la mesure où son implantation précoce lui a permis d’acquérir une taille critique.
Par ailleurs, la persistance des risques géopolitiques et économiques incite les enseignes à privilégier des pays solvables, stables sur le plan monétaires et présentant un risque-pays modéré. Outre les consolidations à l’oeuvre en Europe occidentale (Carrefour en Espagne et en Italie ; Leclerc en Italie), plusieurs zones figurent ainsi parmi les priorités des distributeurs en matière d’internationalisation. Caractérisés par une croissance économique plus soutenue et bénéficiant de l’élargissement de l’Union Européenne, les pays d’Europe centrale ont connu une multiplication des ouvertures de magasins. La perspective d’adoption de la monnaie unique renforce l’attractivité de cette zone (disparition des risques de change). Après la Pologne, qui souffre d’une trop forte densité commerciale autour des métropoles, la Hongrie, la République
tchèque et la Slovaquie continuent d’attirer les distributeurs européens (Metro, Tesco, Ahold, Carrefour…) qui tentent d’y acquérir une position de leader. La prime au premier entrant demeure d’actualité et explique la densification des réseaux (sept hypermarchés Auchan en Hongrie fin 2002) et l’implantation dans de nouveaux pays (Tesco, Ahold, et Cora en Roumanie ; Auchan, Tengelmann et Edeka en Russie). Moins stables sur le plan financier et politique mais caractérisés par une croissance économique et démographique particulièrement dynamique, les pays d’Asie représentent également une part importante des investissements des distributeurs. Favorisés par l’émergence d’une classe moyenne, un taux d’urbanisation croissant et une progression du taux d’équipement en automobile, la zone poursuit la structuration de sa distribution : 177 grandes surfaces en Thaïlande en 2002 ; implantation de Casino, Carrefour, Auchan et Tesco à Taïwan ; ouverture des premiers magasins Tesco en Malaisie en 2002 et Cora et Metro au Vietnam ; multiplication des projets en Chine. Les risques restent néanmoins présents. Aux faibles niveaux de vie (Vietnam, Chine) s’ajoutent les spécificités culturelles marquées. En témoigne le retrait de Carrefour de Hong Kong, le concept de l’hypermarché apparaissant inadapté aux habitudes locales de consommation. En outre, si des poches de consommation apparaissent dans les grandes agglomérations, les zones provinciales restent le plus souvent peu attractives. Enfin, le bassin méditerranéen a fait l’objet d’un nombre croissant d’investissements en 2001 et 2002 : ouvertures de supermarchés Auchan au Maroc et implantation de Carrefour en Égypte via un partenariat avec une enseigne locale. Toutefois, la dégradation de la situation géopolitique au Moyen-Orient dès la fin 2002 devrait avoir des répercussions sur la confiance des investisseurs et se traduire par un ralentissement des implantations à court terme. La volonté de réduire les risques à l’international se traduit également par un recours plus systématique aux alliances. Ainsi, en 2002. Leclerc s’associait avec le second distributeur italien Conad afin de développer son parc d’hypermarché. Auchan lançait conjointement avec Ifil une OPA afin d’acquérir les parts minoritaires de l’italien Rinascente. La pénétration du marché égyptien par Carrefour s’est faite par le bais d’un partenariat avec le distributeur local Majid Al Futtain. Cette volonté de limiter l’exposition au risque pays se traduit également par la multiplication des opérations de croissance externe conditionnelles. En fonction des résultats des cibles et à condition que celles-ci satisfassent à des
objectifs de croissance pluriannuels, les acquéreurs accroissent leur contrôle et ne prennent le contrôle définitif de la cible qu’au bout de plusieurs années. Wal-Mart a pénétré le marché japonais en étalant l’acquisition de Seiyu sur plusieurs exercices et en se réservant un droit de sortie. En raison des difficultés que semble rencontrer l’enseigne japonaise au premier semestre 2003, une telle approche paraît sage. En juin 2002, Casino a fait l’acquisition de 38,7 % de Laurus et s’est réservé la possibilité de monter en puissance dans le capital de l’enseigne hollandaise à terme. La réduction des risques est devenue le dénominateur commun. Les stratégies intègrent de façon plus systématique le risque-pays. Cette plus grande prudence devrait s’accompagner d’une spécialisation géographique accrue des groupes qui tendront à privilégier quelques zones prioritaires où ils occuperont des positions fortes. Le retrait des marchés jugés non-rentables et la consolidation sur les marchés jugés prioritaires pourraient ainsi conduire à une redistribution des cartes entre les enseignes européennes à l’international.
Le risque-pays impose des stratégies d'internationalisation plus prudentes et ciblées dans la distribution
19 juillet 2003
par
Les Echos Etudes
Les Echos Etudes
19 juillet 2003