Bibliophile et lecteur passionné, Jacques Letertre, entrepreneur dans l’hôtellerie, décline depuis 2013 son concept différenciant d’Hôtels Littéraires.
Comment est né le concept des Hôtels Littéraires ?
Jacques Letertre : j’investis dans l’hôtellerie depuis 30 ans. Notre groupe possède une douzaine d’hôtels gérés comme un groupe familial hôtelier. J’ai acquis mon premier hôtel en 1988. Nous avons racheté ensuite toute une série d’hôtels, mais en changeant au fil du temps d’axe de développement. Dans les années 80-90, nos premiers hôtels étaient des hôtels « utilitaires » de périphérie. À l’époque, ce qui fonctionnait, c’était avant tout des hôtels normés, standardisés. Puis, notre vision du secteur a profondément évolué. Nous avons pris conscience, au tournant des années 2010, que le consommateur avait changé et qu’il voulait de la différenciation, d’où le succès grandissant des boutiques hôtels. Dans cette optique, il fallait que notre groupe se positionne sur un créneau particulier correspondant à une spécificité française capable d’attirer une clientèle beaucoup plus internationale et susceptible d’être relayée dans les médias pour gagner en visibilité. Étant un bibliophile et un lecteur passionné, la littérature m’a semblé d’emblée être un terrain de prédilection sur lequel se positionner. Cela représentait une formidable opportunité à double titre. D’abord, à titre personnel, pouvoir conjuguer ma passion avec mon métier ne pouvait que me rendre heureux. Ensuite, mon analyse a été de me dire que lorsque vous avez une véritable passion, vous pouvez la faire partager et obtenir l’adhésion du client plus facilement que si vous essayez de lui vendre un concept purement marketing. Le concept des hôtels littéraires est d’offrir aux clients l’univers d’un auteur que nous apprécions et que nous souhaitons faire découvrir et si possible aimer. Même si le client connaît peu l’écrivain concerné, il faut lui donner envie d’en savoir plus et qu’il reparte avec l’envie d’y revenir et d’en parler autour de lui.
Comment rendez-vous hommage à vos écrivains préférés au sein des hôtels ?
J. L. : l’univers de l’hôtel s’inspire entièrement de la vie et des écrits de l’auteur. Les emplacements retenus correspondent à des lieux chers aux écrivains. Tous les détails sont pensés en fonction de l’écrivain : le nom et la décoration des chambres dédiées (à chaque chambre, un personnage ou une œuvre), les espaces communs proposent des œuvres originales (tableaux, photos, éditions originales…), une bibliothèque de 500 livres disponibles en plusieurs langues. Au Marcel Aymé par exemple, nous exposons une soixantaine d’éditions originales de l’écrivain que j’ai mis 35 ans à collectionner.
Combien détenez-vous d’hôtels littéraires ?
J. L. : La Société des Hôtels Littéraires regroupe à date 4 établissements. Ce sont des hôtels que nous possédions déjà et qui ont été transformés en hôtels littéraires. Notre premier hôtel « Le Swann » a vu le jour en 2013 à Paris au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau. L’hôtel « Gustave Flaubert » a ouvert en octobre 2015 à Rouen, l’hôtel « Alexandre Vialatte » en novembre 2016 à Clermont-Ferrand, l’hôtel « Marcel Aymé » en avril 2018 à Montmartre.
Quels investissements avez-vous engagé pour leur transformation en hôtel littéraire ?
J. L. : l’hôtellerie est une industrie lourde qui exige des investissements importants pour l’exploitant. Nous avons entrepris des travaux pour les faire passer de 3 à 4 étoiles et pour déployer l’univers de l’auteur au sein de chaque hôtel. Nous avons toute une équipe qui travaille avec nous sur chaque projet : une conseillère littéraire, une architecte, une décoratrice... 2 ans de travaux ont été nécessaires pour chaque rénovation. Le montant de la rénovation oscille entre 3,5 et 4,5 M€, selon la capacité hôtelière.
Comment avez-vous financé ces investissements ?
J. L. : ce qui compte pour un groupe privé indépendant comme le nôtre, c’est la confiance de nos banquiers. Or, les banques n’hésitent pas à vous suivre quand ils voient vos résultats d’opérateur hôtelier sur 20-25 ans, ce qui est notre cas. D’autant que la partie empruntée est minime par rapport à la réelle valeur de l’hôtel.
Nous avons, par ailleurs, étalé dans le temps ces investissements, ce qui nous a permis de montrer au fur et à mesure les résultats positifs engrangés par notre premier hôtel littéraire.
Quels sont ces résultats ?
J. L. : ce n’était pas gagné d’avance car nous avons démarré cette nouvelle aventure avec Marcel Proust qui n’est pas l’écrivain le plus facile à faire découvrir. Beaucoup de gens le connaissent, mais ne l’ont pas lu. Avec un seul livre de 2 800 pages, des phrases longues, les gens s’arrêtent souvent au bas de la montagne.
Et pourtant, bien que nous ayons perdu 8 chambres avec le passage de 3 à 4 étoiles, notre chiffre d’affaires sur « Le Swann » a progressé de 40 % grâce à une hausse du prix moyen et à une amélioration du taux d’occupation. Chaque Hôtel Littéraire génère actuellement un chiffre d’affaires compris entre 2 et 3,5 M€ par an. Nos hôtels parisiens ont un taux d’occupation aux alentours de 85 % grâce à une clientèle touristique et d’affaires. En province, il est plutôt à 75 %.
Vos hôtels littéraires sont affiliés à la chaîne volontaire Best Western. Quels en sont les avantages ?
J. L. : l’appartenance à la chaîne volontaire Best Western présente un triple intérêt : un nom connu à l’international et une bonne centrale de réservation pour l’international ; une centrale d’achat pour les 350 établissements en France ; la formation de nos équipes à des métiers nouveaux.
Quels sont vos futurs projets ?
J. L. : en avril 2019, nous ouvrons à la gare de l’Est, un hôtel consacré à Arthur Rimbaud. Nous sommes actuellement sur un rythme d’ouverture d’un Hôtel Littéraire tous les 18 mois à 2 ans. Nous avons aussi des projets autour de Guy de Maupassant, Blaise Cendrars, François Mauriac. L’équation à résoudre est de trouver le bon site qui colle avec l’écrivain. À terme, nous aimerions que, sauf exception, l’ensemble de nos hôtels soient des Hôtels Littéraires 4 étoiles de centre-ville rénovés et appartenant au groupe Best Western. Nous pourrions donc être amenés à nous séparer de certains des établissements qui ne sont pas littéraires. Et nous ne ferons plus d’acquisition d’hôtel qui n’aurait pas pour vocation à devenir un hôtel littéraire. Il y a des acquisitions qui pourraient nous intéresser sur Paris, mais les prix sont pour le moment trop élevés. La rentabilité d’un investissement est pour le moment compliquée malgré des taux d’intérêt attractifs. Actuellement, un dossier sérieux suppose de ne pas emprunter plus de 40 % de l’investissement total. Il faut donc disposer de beaucoup de fonds propres pour emprunter. À terme, le développement des Hôtels Littéraires pourrait aussi passer par la franchise. Ce serait un bon moyen de dupliquer plus rapidement et d’augmenter notre visibilité.