[INTERVIEW] EXTRAIRE DU LITHIUM SANS POLLUER EST UN ENJEU CRUCIAL

GeoLith a mis au point un procédé qui permet d'extraire du lithium, notamment d'eaux géothermiques, sans nuire à l'environnement. Interview de Jean-Philippe Gibaud, son Président-fondateur.
27 octobre 2022 par
[INTERVIEW] EXTRAIRE DU LITHIUM SANS POLLUER EST UN ENJEU CRUCIAL
LES ECHOS ETUDES
Quel a été votre parcours avant de créer GeoLith ?

Jean-Philippe Gibaud : après une formation d’ingénieur en hydraulique, j’ai travaillé pendant une vingtaine d’années, en France et à l’étranger chez Degrémont Suez, dans le traitement des eaux, la R&D ou encore le management. Ensuite, j’ai rejoint un concurrent en Angleterre avant de partir en Nouvelle-Calédonie en tant que directeur environnement et permis d’un grand projet de mines de nickel. J’ai rejoint la société Schlumberger (service pétrolier) qui souhaitait se diversifier dans l’eau et la géothermie où pendant 8 ans, j’ai eu une activité de développement commercial à travers le monde. En 2012, je me suis ancré en France en prenant la direction d’une société de forage, en particulier les forages profonds tel la géothermie. Et c’est en forant des puits de géothermie profonds en Alsace, en 2013, que j’ai découvert qu’il y avait du lithium en quantité non négligeable dans les eaux chaudes pompées à 3 000 mètres de profondeur. Je me suis dit que c’était dommage qu’il n’existe pas de technologie pour le valoriser. J’ai donc créé GeoLith, en 2016, avec l’ambition de développer une technologie pour extraire le lithium des puits de géothermie et, plus largement, de tout fluide qui contiendrait du lithium.

Pourquoi a-t-on besoin de lithium dans l’automobile ?

J-P. G. : le lithium est utilisé dans l’automobile pour fabriquer des batteries. Ces batteries sont bien plus performantes en capacité par volume que les batteries traditionnelles qui utilisent du plomb ou du nickel/cobalt. Concrètement, si on remplaçait les batteries au lithium d’une Tesla par des batteries au plomb, son autonomie passerait de 600 à 40 km et son poids doublerait car le plomb est beaucoup plus lourd que le lithium. Pour cette raison, les batteries au lithium sont incontournables et vont équiper les voitures électriques à batterie pendant de nombreuses années.

D’où vient le lithium ?

J-P. G. : il existe deux sources principales de lithium. La première est l’extraction minière. Originaires d’Australie, les minerais sont exportés en Chine où ils sont broyés, traités avec des acides très concentrés puis chauffés, notamment en utilisant du charbon, pour en extraire le lithium. Le procédé est très polluant (bilan carbone très défavorable). La seconde source se trouve dans les « salars », des lacs asséchés que l’on retrouve sur les plateaux des Andes. Ces salars, dont le plus important est situé dans le désert d’Atacama, au nord du Chili, présente des teneurs en lithium particulièrement élevées. Pour extraire le lithium, on va procéder par évaporation dans des marais-salants. Le procédé est moins polluant que le traitement des minerais, mais cette évaporation dans une zone qui est connue comme étant l’une des plus arides de la planète, génère un impact considérable sur les fragiles écosystèmes. Aujourd’hui, 50 % du lithium provient du minerai australien et 50 % des salars andins. Et ces deux sources, outre le fait de poser des problèmes environnementaux, ne permettront pas de répondre à la demande mondiale qui augmente de 30 % par an. D’ici 20 ans, cela signifie que les besoins en lithium seront multipliés par 50. Par ailleurs, la concentration de la production dans un petit nombre de pays pose de sérieux risques sur la sécurité d’approvisionnement.

Quelle solution d’extraction avez-vous mise au point ?

J-P. G. : nous avons développé un matériau spécifique qui a la capacité de piéger le lithium de manière sélective et réversible. Pour le grand public, ce procédé va s’apparenter à une sorte de filtre. Concrètement, on fait passer un fluide riche en lithium dans ce filtre, puis une fois qu’il en est saturé, on récupère le lithium grâce à un fluide extractant. Ce cycle peut être répété un grand nombre de fois avant qu’il ne faille remplacer le filtre. Le double avantage de ce procédé est qu’il permet de traiter des fluides 10 à 20 fois moins concentrés en lithium que le salar d’Atacama comme les fluides de géothermie profonde, mais également qu’il est « zéro émission » : ce n’est qu’un filtre !

Comment se déroule un forage géothermique ?

J-P. G. : dans un projet de géothermie profonde, on creuse deux puits. Le premier pompe l’eau chaude à grande profondeur afin de l’envoyer dans une installation qui va valoriser cette chaleur, soit pour produire de l’électricité, soit pour une utilisation directe de la chaleur (chauffage). Le second puit va réinjecter l’eau refroidie dans la nappe. C’est sur ce puit de réinjection que nous allons positionner notre technologie pour capturer le lithium. Globalement, cette opération ne dénature pas ces eaux de géothermie. Le lithium ne représente que 0,1 % des sels dissous.

Où en est votre développement ?

J-P. G. : nous avons lancé un pilote, une petite installation, en Alsace début 2021. Ce pilote, nous l’avons ensuite envoyé en Angleterre, ce qui nous permis de décrocher un contrat pour produire un démonstrateur qui a démarré début 2022. Et puis, au mois de juin dernier, nous avons inauguré un autre pilote au Chili. Le plus important de nos pilotes offre une capacité de 10 tonnes de carbonate de lithium par an. Nous sommes encore à l’échelle semi-industrielle.

Quelles sont les prochaines étapes ?

J-P. G. : notre prochaine étape, c’est l’industrialisation. C’est-à-dire de passer sur des installations de plus grande taille. Nous répondons déjà à un premier appel d’offres pour une production annuelle de 150 tonnes de carbonate de lithium. Devrait suivre une installation en Alsace qui offrira 1 500 à 2 000 tonnes par an. Ensuite, nous nous attaquerons à de plus gros projets en Amérique du Sud, de plusieurs dizaines de milliers de tonnes par an. C’est pour cela que nous avons lancé une levée de fonds destiné à financer la construction de notre usine française de fabrication de filtres. On cherche à lever 30 M€ partagé entre de l’investissement privé, public et des prêts bancaires.

Fiche d’identité
Dénomination : GeoLith
Activité : production de dispositifs pour capturer le lithium
Création : 2016
Effectif : 5 personnes
Web : www.geolith.fr
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