D’où provient votre engagement dans l’exercice coordonné ?
Guillaume Racle : en début d’année 2020, j’ai commencé mon stage de fin d’études dans une officine à Bohain-en-Vermandois, une commune de 7 000 habitants située dans l’Aisne. Quelques semaines après, l’épidémie de Covid-19 est arrivée et tout est devenu très compliqué. Je me suis rapidement rendu compte que nous n’arriverions jamais à tenir si chaque professionnel de santé restait dans son coin, si nous ne nous concertions pas au sein du territoire, si nous ne partagions pas nos informations… Nous nous sommes donc organisés avec d’autres professionnels de santé des communes alentours pour produire des solutions hydroalcooliques et gérer les stocks de masques.
Au-delà de l’intérêt certain pour nos patients, cet échange d’informations nous a apporté un précieux soutien durant cette période compliquée.
Pouvez-vous nous expliquer comment est née la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) ?
G. R. : au cours de l’été 2020, nous nous sommes tous rendus compte que cette coopération avait été précieuse pour passer la première vague de l’épidémie. Avec un petit groupe d’initiateurs, nous avons donc décidé de formaliser cet exercice coordonné. Un an après, nous avons signé un accord avec l’Assurance maladie pour formaliser la création de la CPTS et ses missions. Ainsi est née la CPTS Nord-Aisne. Elle s’étend de Saint-Quentin, dans l’Aisne, à Valenciennes, dans le Nord, et regroupe près de 30 communes, 30 000 habitants et 100 professionnels de santé. C’est un territoire aux caractéristiques sociales marquées, puisque 37 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté et qu’il souffre de désertification médicale. Des caractéristiques qui accentuent notre sentiment d’utilité sociale et le devoir d’organisation collective.
Quel bilan pouvez-vous dresser après un an de fonctionnement de la communauté ?
G. R. : la CPTS a complètement changé notre façon de travailler. Nous avons créé du lien humain, notamment dans la relation pharmacien-médecin, et cela nous permet de collaborer beaucoup plus sereinement au quotidien. Dans cette période post-crise qui reste compliquée, travailler sur des projets communs nous a permis de décloisonner nos pratiques et de créer une nouvelle dynamique, de retrouver du sens. Nous avons même réussi à attirer de nouveaux professionnels de santé. Un médecin généraliste vient de nous rejoindre, un autre arrivera en 2024 et des infirmières en pratique avancée (IPA) arrivent en stage. Notre territoire a réussi à retrouver une attractivité et les professionnels de santé un sens dans ce qu’ils font au quotidien.
Comment luttez-vous contre la désertification médicale et les difficultés d’accès aux soins ?
G. R. : au sein de la CPTS, toutes les demandes d’accès aux soins non programmés ou d’accès aux médecins traitants sont aujourd’hui pourvues, car nous avons organisé l’accès direct aux infirmiers, aux kinésithérapeutes et aux pharmaciens pour un certain nombre de pathologies. S’agissant des maladies chroniques, nous pouvons nous appuyer sur le pharmacien correspondant ou l’infirmier référent. Et pour faire face aux difficultés d’accès aux médecins spécialistes, particulièrement importantes au sein de notre territoire, nous avons créé des parcours de soins de proximité avec des médecins, ou d’autres professionnels de santé, qui ont développé de nouvelles compétences. Par exemple, nous n’avions pas d’accès à un pneumologue. Des médecins généralistes, des pharmaciens, des orthophonistes et des dentistes ont alors été formés sur le repérage, le dépistage et la prise en charge précoce de l’apnée du sommeil. Aujourd’hui, nous sommes en train de travailler sur un parcours de suivi de grossesse de proximité avec un échographe. Et pour demain, nous imaginons des actions similaires en ophtalmologie, en dermatologie...
Avez-vous mis en place des actions spécifiques pour accompagner les professionnels de santé et renforcer la pertinence des soins ?
G. R. : tout à fait, puisque ce sont deux axes de développement très intéressants pour notre CPTS. En matière d’accompagnement, nos activités d’enseignement et d’accueil de jeunes professionnels de santé en stage permettent de gagner en attractivité et de faire venir de nouvelles forces vives. Concernant la pertinence des soins, nous participons, au sein de la CPTS, à des protocoles de recherche. Depuis un an, nous expérimentons le test rapide d’orientation diagnostique (TROD) qui permet de détecter à la fois la grippe, le Covid-19 et le virus respiratoire syncytial (VRS) responsable de la bronchiolite. Ces activités de recherche nous sortent de notre pratique quotidienne et nous permettent d’innover.
Quelles autres actions menez-vous actuellement ?
G. R. : nous mettons également en place des actions de prévention, en intervenant, par exemple, auprès d’écoliers, de personnes âgées… Nous touchons ainsi une cible plus large que celle que nous rencontrons dans nos lieux de soins. Il y a, sur notre territoire, un schéma de reproduction sociale qui est fort : mauvaises habitudes alimentaires, décrochage scolaire, obésité, addictions… Face à ce constat, nous nous sentons parfois impuissants au niveau de notre seule structure de soins. Mais au sein de la CPTS, nous pouvons développer une approche beaucoup plus populationnelle et holistique. Cela nous permet d’essayer de résoudre les problèmes à la source et d’avoir foi en l’avenir !
Fiche d’identité
Dénomination : CPTS Nord-Aisne
Activité : communauté professionnelle territoriale de santé
Création : 2021
Implantation : 30 communes des départements du Nord (59) et de l’Aisne (02) pour 30 000 habitants
Nombre de professionnels : 100 professionnels de santé