DESERTS MEDICAUX : LA COORDINATION DES SOINS EST LA SOLUTION !

21 novembre 2019 par
DESERTS MEDICAUX : LA COORDINATION DES SOINS EST LA SOLUTION !
LES ECHOS ETUDES

Antoine Prioux est pharmacien titulaire de la pharmacie des Loutres à Bugeat (19) et coordonnateur du pôle de santé Millesoins. Un pôle pas comme les autres, installé au cœur du plateau de Millevaches, entre Creuse et Corrèze. Un territoire qui échappe à la désertification médicale grâce à une bonne coordination des soins et des solutions informatiques adaptées.

Vous êtes installé depuis 2016 sur ce territoire le moins dense de l’Hexagone, dans le Parc Naturel Régional du Plateau de Millevaches. Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir ce mode d’exercice peu fréquent parmi les jeunes pharmaciens diplômés ?
Antoine Prioux : c’est justement ce lieu et la possibilité d’exercer différemment qui m’ont attiré ! Notre situation géographique et les difficultés d’accès aux soins qu’elle engendre imposent aux professionnels de santé qui travaillent ici une organisation différente et le recours à des solutions techniques innovantes. Ce qui est aussi intéressant, c’est que nos conditions d’exercice apparemment très spécifiques préfigurent ou caractérisent les grands défis que doivent relever l’ensemble des professionnels de santé, quel que soit le lieu où ils exercent : apprendre à faire plus et mieux avec moins, et vite. Ce fut le thème de ma thèse de doctorat, dans laquelle je me suis intéressé aux nouvelles compétences du pharmacien d’officine, aux futures organisations de santé, ainsi qu’aux outils informatiques et numériques à développer pour améliorer l’efficience des soins. La vision que j’ai de mon métier, j’ai pu la concrétiser il y a deux ans, grâce au rachat à Bugeat d’une officine membre d’un pôle de santé.

Comment fonctionne ce pôle ?
A. P. : le pôle de santé a été créé en 2011, sous la forme juridique d’une association puis en 2014 une SISA a été créée. Sur le plan médical, elle fonctionne à partir de cinq petites maisons de santé (MPS), installées dans les localités de Bugeat, Peyrelevade, Royère de Vassivière, Faux la Montagne et Sornac. Ces MSP sont organisées en cabinets partagés, c’est-à-dire que les médecins du pôle peuvent y exercer à tour de rôle. Au total, celui-ci compte actuellement 6 généralistes, 12 infirmiers, 2 kinésithérapeutes, 1 dentiste et 5 pharmaciens d’officine. Plus de 25 professionnels de santé donc, qui se coordonnent pour garantir l’accès aux soins aux 4 000 personnes qui vivent dans le territoire du Plateau de Millevaches. Ce pôle, que nous avons appelé « Millesoins, la santé sur un plateau », constitue une maison de santé « virtuelle » au sens où ses membres se coordonnent grâce à des solutions informatiques et de téléphonie. Il n’est pas nécessaire de bâtir des murs pour travailler ensemble, d’autant que l’habitat est ici dispersé et que centraliser l’offre de soins en un même lieu n’aurait pas amélioré l’accès aux soins pour une partie de la population. Notre pôle repose sur une plate-forme collaborative avec un logiciel de gestion qui permet de regrouper et de partager les dossiers des patients et les agendas des praticiens. Le planning des rendez-vous et des interventions est aussi mutualisé grâce à une coordinatrice administrative. La base de toute coordination des soins repose sur ce triptyque simple : informatisation du dossier patient, partage des agendas des professionnels de santé et secrétariat médical partagé. On réunit là les conditions nécessaires pour gagner du temps médical et améliorer l’efficience des soins. 

En tant que pharmacien d’officine, comment participez-vous à la coordination des soins que vous appelez de vos vœux ?
A.P. : de manière très concrète, j’accède à la partie ordonnance et prescription pharmaceutique du dossier patient informatisé. Ce qui me permet d’anticiper la dispensation et si besoin, l’accueil personnalisé du patient lorsque ce dernier m’a choisi comme pharmacien correspondant. Je peux donc mieux adapter les informations et le conseil pharmaceutique. Mais l’exercice en coopération interprofessionnelle va évidemment au-delà puisqu’il permet des transferts de compétences entre médecins, infirmiers et pharmaciens. C’est dans ce cadre que mon équipe et moi-même pouvons mener les nouveaux services pharmaceutiques : la vaccination contre la grippe, les bilans de médication, des actions de prévention et de dépistage, l’éducation thérapeutique… Cette dimension « professionnel de santé » redonne du sens à l’exercice de pharmacien, y compris sur le plan économique. Je refuse que mon métier soit réduit à sa dimension purement commerciale ou à un rôle de distributeur physique de médicaments.
 

« La volonté d’exercer en réseau et l’informatique nous permettent de lutter contre la désertification rurale »

Cette organisation permet-elle de maintenir un nombre suffisant de professionnels de santé sur le Plateau ?
A. P. : c’est grâce à elle qu’un jeune généraliste s’est installé fin 2016 et que d’autres continuent d’y exercer ! La plupart des médecins membres sont maîtres de stage des Universités, afin d’accueillir des stagiaires qui s’intègrent dans le réseau. C’est ce qui a permis l’arrivée de praticiens au cours de ces dernières années. L’attrait personnel pour un mode d’exercice rural ne suffit plus pour convaincre des professionnels de santé de s’installer, encore faut-il leur permettre d’exercer dans de bonnes conditions et leur garantir un équilibre satisfaisant entre vie professionnelle et vie personnelle. Le travail en coopération interprofessionnelle offre cet équilibre tout en garantissent la permanence des soins. Le Plateau de Millevaches n’est donc ni un désert médical, ni un désert pharmaceutique, contrairement à ce que l’on pourrait croire !

Au-delà de la SISA, vous êtes en train de créer une coopérative de pharmaciens. Dans quel but ?
A. P. : dans le cadre du pôle de santé, chaque pharmacien titulaire est sociétaire de la SISA. Cette structure juridique est indispensable pour exercer dans le cadre de l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI). Mais nous nous sommes rendus compte qu’il fallait aller plus loin pour mutualiser certains investissements et diversifier nos activités et services. Nous envisageons donc de fonctionner en coopérative, en croisant les parts sociales de nos différentes sociétés. C’est un modèle d'intégration officinale inédit dans le monde des maisons de santé pluriprofessionnelles qui s’inspire de l’économie sociale et solidaire. L’objectif est de mutualiser nos moyens, nos compétences et nos investissements. Quatre des cinq titulaires installés sur le Plateau ont d’ores et déjà décidé de rejoindre ce projet.

Quelles activités pharmaceutiques souhaitez-vous développer au travers de cette coopérative ?
A. P. : nous commençons par la PDA en EHPAD, une activité qui a nécessité de s’équiper d’un automate. Ceci représentait un investissement trop lourd pour une officine mais envisageable pour la coopérative. Citons aussi le maintien à domicile, qui répond aux besoins d’une partie importante de la population du Plateau. L’objectif de la coopérative est donc de se doter de moyens supplémentaires pour permettre à certains pharmaciens de choisir des axes de spécialisation : la PDA, le MAD mais aussi la téléconsultation ou la domotique santé et les objets connectés qui assurent des services de télésurveillance…

« L’adaptation aux contraintes de notre territoire
forge l’innovation.
»

Vous êtes aussi un entrepreneur du numérique car vous avez créé début 2018 une start-up appelée P4pillon. Quelle est son activité ?
A. P. : l’objectif de cette société encore en construction est de fournir un logiciel d'analyse de données aux professionnels de santé qui travaillent dans le cadre de coopérations interprofessionnel, mais aussi à différents partenaires qui souhaitent œuvrer dans l'intérêt collectif. En parallèle, je développe avec mon associé, Julien Misiak, un autre logiciel qui s’adresse spécifiquement aux pharmaciens d’officine, pour les aider à optimiser cette coordination. Cet outil est actuellement installé dans ma pharmacie à Bugeat. Le marché des logiciels officinaux doit s’ouvrir et proposer des solutions qui nous permettent de rester maîtres des données de santé que nous contribuons à produire, tout en nous permettant d’aller plus loin dans leur exploitation. Les solutions logicielles que nous utilisons doivent permettre des requêtages en fonction des profils de risques des patients. L’outil idéal devrait permettre de renseigner les déterminants de santé, les états cliniques et paracliniques, l’historique des consommations de médicaments et des données médico-économiques de parcours de soins primaires. Seuls les progiciels labellisés « Maison de Santé » sont actuellement en capacité de constituer de telles bases, notre principal partenaire est l'un des acteurs principaux de ce marché.

Un pôle de santé, une coopérative de pharmaciens, une start-up… Vous incarnez un nouveau modèle d’exercice qui peut intéresser de nombreux confrères. Comment envisagez-vous de le faire connaître ?
A. P. : l’un des médecins du réseau étant professeur universitaire à la Faculté de Médecine de Limoges, nous souhaitons devenir une MSP universitaire qui aura pour vocation de développer une activité de recherche et d’enseignement. Quant à moi, j’envisage également de créer une plateforme de recherche et de développement, sous forme de tiers-lieu, où usagers, institutionnels, start-ups, chercheurs, étudiants et professionnels de santé travailleraient de manière collaborative autour d’innovations en santé.

Propos recueillis par Hélène Charrondière en septembre 2018. Interview réalisée pour le compte du réseau d'experts-comptables CGP. 

Pour aller plus loin sur les nouvelles organisations du système de santé, consultez l'édition 2019 de la Cartographie du système de santé des Echos Etudes --> La Cartographie du système de santé, édition 2019
Et pour découvrir toutes les dernières études du pôle Pharmacie-Santé des Echos Etudes, c'est par ici !

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